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  • Piano forte

     

    Le piano va arriver aujourd'hui. Enfin. Frédéric l'a commandé il y a plusieurs semaines, il commence à piaffer pour de bon. Il lui semble avoir des colonies de fourmis dans les phalanges.

    Bien sûr il s'exerce quand même chaque jour sur son vieux machin à moitié désaccordé. Une façon de ne pas perdre la main. Mais ça s'appelle à peine jouer. Avec un engin pareil, où chercher le plaisir, le souffle, l'envol dans la musique ?

    Il préfère encore fredonner pour lui-même, ruminer la mélodie, faire vibrer les accords au niveau de son plexus solaire. « Je suis à moi-même mon propre piano ».

    D'ailleurs son professeur, ce génie qu'il ne remerciera jamais assez, lui prodigue sans cesse la même consigne : Frédéric, vous ne devez pas jouer la musique, vous devez la vivre. Vous devez la laisser s'inscrire dans vos fibres comme dans votre âme.

    Qu'elle vous imprègne, vous noie, puis vous en émergerez : là, vous jouerez.

    « Un peu allumé » a pensé Frédéric à leur premier rendez-vous, la première fois que le professeur lui a servi son discours. Il n'aime pas le flou, ne jure que par bosser, bosser, encore bosser. Sans blabla superflu.

    Puis il a essayé, il a admis d'avoir confiance dans le bonhomme. Il a vu. Ça marche.

    À peine Frédéric reprend-il son exercice qu'on sonne. Voilà les livreurs.

    « Bonjour Messieurs, alors venez voir, le piano je pense le placer ici.

    - Euh pas facile : ça risque de coincer au passage du chambranle, là.

    - Vous ne pouvez pas le passer par ailleurs ? Si j'ouvre la baie ?

    - Ah ouais OK, on va essayer par là. On va prendre l'appareil pour surélever. Ça va aller, ça va le faire, vous bilez pas ».

    La mise en place du piano a lieu, non sans mal, sous le regard préoccupé de Frédéric. Ce nouveau piano sera désormais son compagnon fidèle, son ami, son frère, celui à qui se confier jour après jour.

    Pourvu qu'il ne souffre pas, qu'il n'écope pas d'une éraflure sur son bois. Ou pire, quelque chose qui vienne fausser sur le clavier lui-même une blanche, une noire.

    Le piano auquel il rêve depuis ... son Pleyel …

    Alors Frédéric pousse un cri.

    « Messieurs, messieurs ! Il y a une erreur ! Vous ne m'avez pas livré le bon piano, j'avais commandé un Pleyel … Mais là, regardez … »

    Frédéric va défaillir, les yeux élargis d'horreur.

    Le livreur regarde son bordereau.

    « Ah, merde ! On a confondu avec la livraison d'après, le Steinway ! »