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  • Charcot (4/5) Littéralement fascinant

    « Cet afflux d'êtres humains ne s'adressait pas seulement au célèbre chercheur, mais tout autant à ce grand médecin et ami des hommes, qui savait toujours trouver une réponse, et qui devinait là où l'état présent de la science ne lui permettait pas de savoir. On lui a mainte fois fait reproche de sa thérapeutique qui, par la richesse de ses prescriptions, ne pouvait qu'offenser les scrupules d'un esprit rationaliste. »

    (Freud. Article Charcot)

     

    Freud se reconnaît là encore dans cette façon de combiner intuition et savoir, rationalisme et pratiques floues du point de vue logique. Ce n'est pas à ses yeux un défaut, un moins, mais un plus, une richesse au service à la fois des patients et de l'avancée scientifique.

    Autre qualité que Freud met au crédit de Charcot, son autorité et son brio d'enseignant :

    « Comme enseignant, Charcot était littéralement fascinant, chacune de ses conférences était un petit chef d'œuvre de construction et d'articulation, à la forme achevée et à ce point pénétrant que de toute la journée on ne pouvait chasser de son oreille la parole entendue et de son esprit l'objet de sa présentation. »

    Un mode d'autorité, fondé sur une certaine séduction, sur lequel on peut émettre des réserves : il présente un risque non négligeable de "gourouisme". D'ailleurs voilà sans doute une notation qui n'a pas échappé à un lecteur de Freud nommé Jacques Lacan, qui dispensa son enseignement en beau-parleur à la parole fascinante.

    Bref : on est frappé par le phénomène d'identifications en chaîne, de Charcot à Freud, de Freud à Lacan. Il n'y a rien là d'étonnant, l'identification est un des ressorts essentiels de la transmission culturelle, dans tous les domaines.

    « Je serai Chateaubriand ou rien », comme disait Hugo.

    Qui ainsi devint Hugo.

     

  • Charcot (3/5) Créant d'un côté et démontrant de l'autre

    « Charcot ne se fatigua jamais non plus de défendre contre les empiétements de la médecine théorique les droits du pur travail clinique qui consiste à voir et ordonner.(...)

    ''La théorie c'est bon, mais ça n'empêche pas d'exister''*. » (Freud. Article Charcot)

    *en français dans le texte.

     

    Freud dit avoir été, de même que les autres étudiants étrangers comme lui élevés dans la physiologie académique allemande, très impressionné par cette formule.

    Mais il ne dit pas quel mot exactement a fait schibboleth.* On parie que c'est « ça » ? (Mais non je rigole).

    « Ce fut alors une chance que le même homme pût se charger de l'exercice des deux compétences, créant d'un côté les tableaux pathologiques par l'observation clinique, et démontrant de l'autre (…) le fondement du mal. »

    Donner à la clinique tous ses droits face à la théorie, mais aussi, à partir de la clinique, produire de la théorie : cet aller-retour constant constitue tout le ressort du travail et de l'œuvre de Freud.

    La création d'une nosographie suppose déjà une théorisation implicite. C'est pourquoi il a été tenté de prendre des libertés par ci par là avec les observations cliniques, de tripatouiller les données dans le sens de ses intuitions.

    On le lui a à juste titre reproché, et d'ailleurs (on l'oublie souvent) il se l'est lui-même parfois reproché.

    Exemples entre autres le récit du rêve de "l'injection à Irma" (L'interprétation du rêve chap 2), ou l'analyse du cas Dora dans Cinq psychanalyses.

    L'auto-reproche tenait lieu d'aiguillon pour reconsidérer ce qui « existait » en dépit d'une théorisation trop hâtive. En revanche les reproches venus des autres étaient moins bien accueillis. C'est que dans l'équipe faut quand même reconnaître le chef.

    « ''L'école de la Salpêtrière'', c'était naturellement Charcot lui-même, qu'il n'était pas difficile de reconnaître en chacun des travaux de ses élèves (…)

    Dans le cercle des jeunes hommes qu'il attira ainsi à lui et qu'il fit participer à ses recherches (…) il arriva que tel se distingua par une affirmation que le maître trouvait plus brillante que juste et qu'il combattait sarcastiquement dans ses propos et ses leçons, sans que la relation à l'élève aimé en souffrît. »

    On n'est qu'en 1893 pourtant, avant la création par Freud de son petit cénacle, avant la controverse avec Adler, les relations ambivalentes puis la rupture avec Jung, Mais, pour paraphraser Hugo, déjà un grand Herr Doktor Freud perçait sous l'élève Sigmund.

    Car on peut penser qu'il fut de ces sujets brillants que Charcot « remit à sa place ».

    Ce qui l'incita à reproduire ensuite le schéma avec ses propres élèves ...

     

    *Schibboleth n.m. Avant 1778. mot hébreu « épi », du récit biblique selon lequel les gens de Galaad reconnaissaient ceux d'Ephraïm en fuite à ce qu'ils prononçaient sibboleth. Rare : Épreuve décisive qui fait juger de la capacité d'une personne. (Petit Robert)

    Personnellement je n'ai lu ce mot que dans des textes de Freud (et consécutivement de Lacan, et divers commentateurs de l'un ou l'autre ou les deux) : adhérer à son interprétation du mécanisme du rêve serait "le schibboleth de la psychanalyse."

     

     

  • Freud avec Charcot (2) Voir quelque chose de nouveau

    « On pouvait l'entendre dire que la plus grande satisfaction qu'un homme puisse vivre était de voir quelque chose de nouveau, c'est à dire de le reconnaître comme nouveau (…)

    D'où venait-il donc que les hommes ne voyaient jamais en médecine que ce qu'ils avaient déjà appris à voir, comme il était merveilleux de pouvoir voir brusquement de nouvelles choses – de nouveaux états pathologiques – qui pourtant étaient vraisemblablement aussi vieilles que le genre humain, et comme il devait lui-même se dire qu'il voyait maintenant bien des choses qui avaient durant trente ans échappé à son regard dans ses salles de malades. »

    (Freud. Article Charcot)

     

    Voilà qui rappelle nombre de passages de son œuvre où Sigmund feint de s'étonner.

    Par exemple que personne avant lui n'ait compris ce qu'il en était de l'hystérie : l'hystérique souffre de réminiscences, c'était si sorcier à deviner ?

    Ou du rêve : pour comprendre qu'il est l'accomplissement figuré d'un désir inconscient, fallait juste avoir l'idée de détricoter le travail du rêve (autrement dit se mettre à décoder, et arrêter de déconner avec des clés des songes et autres inepties, dirait Lacan) (d'ailleurs il l'a dit).

    Bref tous les moments, dans les écrits freudiens, d'autosatisfaction (plus ou moins distanciée, d'aucuns diront déguisée) qui ont le don de hérisser Onfray. (Sans doute parce que l'autosatisfaction c'est pas mal son rayon aussi) (mais pas d'analyse sauvage).

    Qui avait durant trente ans échappé à son regard dans ses salles de malades.

    Rapportée à Freud, cette notation amène deux réflexions. Lui ce n'est pas durant trente ans qu'il a cherché sans bien savoir quoi, mais presque quarante, depuis le désir de sa jeunesse d'apporter à l'humanité quelque chose de décisif.

    Oui excusez du peu hein. (Ce que c'est que d'avoir une mère juive en adoration devant son bambin) (c'est lui-même qui le dit).

    C'est autour de ses quarante ans qu'il finit par trouver sa voie, par un chemin auquel il n'avait pas songé, et que pour tout dire il trouvait en dessous de son standing intellectuel. Il se voulait grand théoricien, et c'est par la clinique qu'il fit le pas décisif, non pas dans ses salles de malades comme Charcot, mais chez lui (ou chez elles) en prenant au sérieux la parole des hystériques.

    Et pourtant c'est sans enthousiasme que, pour gagner la vie de sa famille, il s'était résolu à les écouter, ces bonnes femmes oisives qui faisaient des histoires.