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  • Sur le rêve (12) S'occuper de broutilles

    Pour continuer sa recherche, Freud revient sur les conclusions de l'analyse de son rêve "de la table d'hôte" (cf 4).

    « Ce qui dans le rêve était amplement et nettement mis en place comme étant le contenu essentiel doit après l'analyse se satisfaire d'un rôle extrêmement subalterne parmi les pensées du rêve, et ce qui après l'énoncé de mes sentiments revendique parmi le pensées du rêve la plus grande attention voit son matériau imaginaire ou bien ne pas du tout se trouver dans le contenu onirique ou bien n'avoir de représentant que dans une allusion lointaine au milieu d'une région insignifiante du rêve. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 5)

     

    Autrement dit l'affect, la pensée, l'image, à la source du rêve (le contenu latent à retrouver par l'analyse) sont comme filtrés pour en modifier la couleur, l'intensité, dans le contenu apparent (le récit qui est fait du rêve). Il nomme ce processus déplacement onirique, puisqu'il a pour effet de transférer les accents de certains éléments sur d'autres.

    « Je pourrais désigner ce que j'ai appelé déplacement onirique sous le nom de réévaluation des valeurs psychiques.*(...)

    L'impression à laquelle échoit le rôle de déclencheur du rêve peut (prolonger) les préoccupations majeures de l'existence vigile.(...)

    (Mais souvent) le contenu onirique semble, y compris quand il est cohérent et compréhensible, s'occuper de broutilles (…) Une bonne part du mépris où le rêve est tenu découle de cette préférence pour ce qui dans le contenu du rêve est nul et sans intérêt. »

    Mais bien sûr ce jugement est modifié par le travail d'analyse qui « met régulièrement en évidence l'épisode vécu important, et à juste titre excitant, qui se remplace (s'est remplacé dans le contenu apparent) par l'épisode indifférent avec lequel il est entré dans des liens associatifs abondants. »

    Freud note encore « un curieux processus qui se produit dans la formation du rêve, et dans lequel condensation et déplacement coopèrent à l'effet produit. »

    Il nomme cela une formation de compromis.**

    Bref tout se passe comme si le rêve ne pouvait présenter de pensées que déguisées. Ça cache forcément quelque chose, se dit Freud.

    Si bien que « De façon plus pressante encore que dans la condensation, le besoin s'exprime (…) de découvrir ce qui motive tous ces efforts énigmatiques déployés par le travail du rêve. »

     

    *Probable allusion à Nietzsche qui emploie l'expression à propos de valeurs morales. (Ce qui est logique puisque la question morale intervient on le verra dans le travail psychique de formation du rêve).

    **Il prend un exemple dans son célèbre rêve dit « de l'injection à Irma » (cf Traumdeutung chap 2) où propylène sert de compromis entre amylène et Propylées. Un compromis qui se révélera plein d'informations sur le fonctionnement du rêve, et tout autant sur la psyché de Freud (comme le montre Lacan dans sa sorte d'analyse au carré du rêve de Freud cf son séminaire II sur le Moi).

     

  • Sur le rêve (11) Les fils se croisent et s'entretissent

    « Le travail de condensation explique aussi (…) des personnes complexes et mixtes, et des formations mixtes étranges (…)

    Leurs modes de fabrication sont variés et multiples. Je peux composer une personne en lui conférant des traits de l'une et de l'autre, ou en lui donnant l'apparence extérieure de l'une tout en pensant dans le rêve le nom de l'autre, ou je peux me représenter visuellement l'une des personnes, mais la placer dans une situation qui s'est produite avec l'autre. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 4)

     

    En outre « Ces compositions oniriques sont toujours formées à neuf avec une richesse inépuisable. »

    Le travail d'analyse du rêve est ainsi une sorte de rallye-découverte. Et si les lieux où il nous emmène ne sont pas tous remarquables ni agréables, la promenade, elle, reste amusante.

    Ajoutons qu'elle comporte d'incessants allers-retours :

    « Tout élément du contenu du rêve est surdéterminé par le matériau des pensées du rêve, fait remonter son origine non pas à un seul élément particulier des pensées du rêve, mais à toute une série de celles-ci. L'élément onirique est au sens strict le représentant délégué dans le contenu onirique pour tout ce matériau disparate. (…)

    De la même façon (…) une pensée du rêve, en règle générale, délègue son représentant dans plus d'un élément onirique.(...) Les fils associatifs chemin faisant se croisent et s'entretissent à de multiples reprises. »

    Bon on voit maintenant comment ça marche, la condensation. Mais il reste une question :

    « La condensation est le trait caractéristique le plus important et le plus spécifique du travail onirique. Mais pour ce qui est du motif qui requerrait une pareille contraction du contenu, rien ne nous a d'abord été dévoilé. »

    Un coup de teasing de Papa Freud : genre « chers lecteurs ne manquez pas la lecture des chapitres suivants qui s'annonce passionnante ! »

     

  • Sur le rêve (10) Le chat de Schrödinger

    « Quand ces éléments communs existant entre les pensées du rêve n'existent pas déjà, le travail onirique s'efforce d'en créer, afin de rendre possible la figuration commune dans le rêve. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 4)

     

    Quand ces éléments communs existant n'existent pas : curieuse formulation, non ? Quatre explications possibles à cette contradiction frôlant le non sens.

    1)Une désinvolture délibérée envers la logique classique pour laquelle ne peuvent être simultanément vraies deux propositions contraires.

    2)Une intuition de la fameuse expérience de pensée dite du chat de Schrödinger.

    3)Une désinvolture cynique avec la réalité factuelle du fait de la roublardise de Sigmund.

    4)Un défaut de formulation nuisant à la clarté du texte.

    Considérer comme vraie chacune de deux propositions contradictoires, ou maintenir l'indécidable entre elles (options 1 et 2), c'est la routine dans le mode inconscient. Freud le nomme mode primaire de penser, le rapprochant de la pensée enfantine ou magique. Mais il n'en rend jamais compte que dans un discours logique et argumenté : il n'était pas du genre à se livrer à l'écriture automatique façon surréaliste.*

    L'option 3 aura la faveur des détracteurs de Freud. Mais je gage qu'il était trop soucieux de faire reconnaître le sérieux de ses théories, et d'abord de s'en assurer lui-même, pour se satisfaire d'une victoire au bluff. Il faut l'excuser, il ne connaissait pas notre monde merveilleux friand de mensonge et de bêtise, où la falsification fonctionne tellement mieux que la vérification pour asseoir la crédibilité.

    Mais l'option 4 est plus probable. Pour limiter les dégâts de la mauvaise réception de sa Traumdeutung (cf 1), Freud écrit en vitesse, se débarrasse de ce qu'il voit comme un pensum. D'où des formules approximatives (mais qui finissent toujours par se préciser).

     

    Reprenons donc « … le travail onirique s'efforce d'en créer, afin de rendre possible la figuration commune dans le rêve. La voie la plus commode pour rapprocher deux pensées du rêve qui n'ont encore rien de commun consiste à modifier la formulation verbale de l'une, cependant que l'autre viendra peut être encore s'opposer à elle en se coulant de manière adéquate dans une autre expression. »

    Freud rapproche cela de « la composition de vers rimés, où l'homophonie tient lieu de l'élément commun recherché. Une bonne part du travail du rêve consiste à créer ce genre de pensées intermédiaires ».

    Le rapprochement entre travail poétique sur les mots et travail inconscient sur les pensées est un des outils les plus féconds de la pensée freudienne. Il sera fondamental dans son analyse du mot d'esprit (Witz), et constitue un des paramètres fiables pour l'interprétation dans la pratique clinique.

    En psychanalyse freudienne (contrairement au coaching ou autre forme plus ou moins soft de « direction de conscience »), celle-ci n'est ni assertion ni ordre ni conseil. Elle consiste à trouver de(s) mot(s) (attitudes, réactions) pour attirer l'attention de l'analysant sur ce qu'on perçoit dans son discours comme possible indicateur de ses enjeux inconscients. À lui d'y entendre ce qu'il peut ou veut, et d'en faire comme il l'entend.

     

    Bon ben avec tout ça, désolée, j'ai encore pas fini ce chap 4 cette fois-ci, mais ce sera pour la prochaine fois sans faute.

     

    *Ce qu'en un sens on peut considérer comme méfiance envers la validité du message inconscient, et donc comme inconséquence théorique. Lacan, lui, au fil de ses séminaires, assumera de plus en plus de (ou se laissera aller à) parler en associations libres, comme l'analysant sur le divan. Plus grande confiance envers la pertinence de la pensée inconsciente, ou paresse roublarde à mettre en forme ses intuitions ? Je laisse le lecteur décider (à supposer que la psyché de Lacan soit un objet plus décidable que l'état du chat de Schrödinger).