Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les tours d'ivoire sont tombées

« Il est toujours vain de vouloir se désolidariser, serait-ce de la bêtise et de la cruauté des autres. On ne peut dire ''Je l'ignore''. On collabore ou on la combat. Rien n'est moins excusable que la guerre et l'appel aux haines nationales. Mais une fois la guerre survenue, il est vain et lâche de vouloir s'en écarter sous le prétexte qu'on n'en est pas responsable. Les tours d'ivoire sont tombées. La complaisance est interdite pour soi-même et pour les autres.

Juger un événement est impossible et immoral si c'est du dehors. C'est au sein de cet absurde malheur qu'on conserve le droit de le mépriser.

La réaction d'un individu n'a aucune importance en soi. Elle peut servir à quelque chose mais ne justifie rien. Vouloir, par le dilettantisme, planer et se séparer de son milieu, c'est faire l'épreuve de la plus dérisoire des libertés. Voilà pourquoi il fallait que j'essaie de servir. Et si l'on ne veut pas de moi, il faut aussi que j'accepte la position de civil dédaigné.

Dans les deux cas, mon jugement peut demeurer absolu et mon dégoût sans réserves. Dans les deux cas je suis au milieu de la guerre et j'ai le droit d'en juger. D'en juger et d'agir. »

(Camus Carnets septembre 39)

 

La complaisance est interdite pour soi-même et pour les autres.

Juger un événement est impossible et immoral si c'est du dehors. C'est au sein de cet absurde malheur qu'on conserve le droit de le mépriser.

Toute la rigueur morale de Camus dans ces lignes. Son sens de l'honneur, son exigence personnelle. Mais ce n'est pas une morale abstraite, au contraire, elle ne peut naître que du fait d'assumer d'être là où l'on est. Planer et se séparer de son milieu, c'est faire l'épreuve de la plus dérisoire des libertés. Et pour lui la liberté peut être qualifiée de bien des manières, mais certes pas de dérisoire. C'est bien elle le seul problème philosophique vraiment sérieux.

Une exigence qui est le prix à payer pour ce qu'on pourrait appeler sa « crédibilité » de penseur et de philosophe, ce qui peut lui donner le droit de juger. Une crédibilité dont bien des gens, et bien des penseurs (ou considérés comme tels) n'estiment pas avoir à faire la preuve.

Il fallait que j'essaie de servir. Il va en effet par deux fois essayer de s'engager, ce qui lui sera refusé à cause de sa tuberculose.

 

« Avec quoi on fait la guerre :

1)avec ce que tout le monde connaît ;

2)avec le désespoir de ceux qui ne veulent pas la faire ;

3)avec l'amour-propre de ceux que rien ne force à partir et qui partent pour ne pas être seuls ;

4)avec la faim de ceux qui s'engagent parce qu'ils n'ont plus de situation ;

5)avec beaucoup de sentiments nobles tels que :

a)la solidarité dans la souffrance ;

b)le mépris qui ne veut pas s'exprimer ;

c)l'absence de haine.

Tout cela est bassement utilisé et tout cela conduit à la mort. » (novembre 39)

 

Force de cet inventaire à la Prévert conclu sur la dernière phrase en forme de couperet.

 

 

Commentaires

  • Ce qui m'a étonnée, lors de mes études en philologie romane, c'est le discrédit dont souffrait Camus alors, sans doute dans la foulée de "Camus, philosophe pour classes terminales". Je me suis toujours demandé comment il était ou est encore considéré en faculté de philosophie.

  • A l'époque de mes études (la même que la vôtre je pense) le discrédit de Camus venait de son refus, partagé par Raymond Aron, de s'aligner sur la position pro-communiste, disons même pro-stalinienne, de beaucoup de membres de l'intelligentsia française de l'époque, dominée par Sartre et Beauvoir. Quel que soit l'intérêt bien réel de l'oeuvre philosophique de ces derniers, il est clair que la lucidité politique et la rigueur éthique étaient du côté de Camus.

Les commentaires sont fermés.