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  • Sur le rêve (25/25) Formations psychiques de premier ordre

    « Je n'ai pas la prétention d'avoir ici fait la lumière sur tous les problèmes du rêve, ni d'avoir mis un point final convaincant aux problèmes débattus ici. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 13)

     

    Je n'ai pas la prétention : oui oui ... Dans le genre fishing for compliments c'est pas vraiment discret ... 

    Mais il est vrai qu'en effet il ne cessera de continuer à réfléchir à la question du rêve, l'ayant identifié d'emblée comme voie royale vers l'inconscient.

    Après un petit coup d'auto-promotion « je conseille de se tourner vers mon ouvrage 'L'interprétation du rêve', paru à Leipzig et Vienne en 1900 », il conclut en signalant « dans quelle direction il faut poursuivre les thèses que j'ai exposées sur le travail du rêve. »

    Par ma conception de l'interprétation du rêve comme recherche de pensées latentes à partir de son récit brut, dit-il, « j'esquisse d'un côté toute une série de problèmes psychologiques nouveaux, relatifs au mécanisme de ce travail onirique lui-même aussi bien qu'à la nature et aux conditions de ce qu'on appelle le refoulement. »

    C'est en effet ce qu'on a vu dans ce texte Sur le rêve, les mécanismes du travail onirique que sont condensation, déplacement, recherche de figurabilité, remploi des restes diurnes, réactualisation de désirs anciens, élaboration secondaire.

    « D'un autre côté j'affirme l'existence des pensées du rêve (en tant que) matériau très riche de formations psychiques de premier ordre, pourvu de tous les caractères d'une prestation intellectuelle normale, matériau qui cependant se soustrait à la conscience jusqu'à ce que celle-ci lui en ait donné par le contenu du rêve une connaissance défigurée.»

    Autrement dit rêver n'est pas penser « en mode dégradé », bien au contraire.

    L'apparence d'absurdité ou d'inanité répond à une stratégie complexe au service de la censure. Une stratégie ironique et paradoxale que l'on pourrait résumer : c'est lorsque ça a l'air le plus con que c'est le plus malin, lorsque ça a l'air le plus insignifiant que c'est le plus parlant.

    « Les autres questions importantes qui intéressent la psychologie se rattachent à l'inconscient des pensées du rêve, à leur rapport à la conscience et au refoulement ; il faut sans doute reporter à plus tard l'idée de les régler définitivement, et attendre que l'analyse ait mis au clair la genèse d'autres formations psychopathologiques, tels les symptômes hystériques et les idées obsessionnelles. »

    Freud termine l'ouvrage sur cette phrase sèche et abrupte. On le sent pressé de passer à autre chose. C'est dans les années suivantes en effet qu'il avance sur les questions mentionnées.

    Par ailleurs on peut relever la contradiction entre la présentation du rêve comme pourvu de tous les caractères d'une prestation intellectuelle normale, et son inclusion implicite dans le pathologique : d'autres formations psychopathologiques.

    Une contradiction témoin d'un des fils directeurs de la pensée freudienne : interroger la validité de la frontière entre pathologique et normal, et montrer que la plupart des productions psychiques sont hybrides.

    Réflexion au cœur de l'ouvrage que Freud a entamé et auquel il a hâte de se remettre (faut dire il est nettement plus fun que celui-ci), sa Psychopathologie de la vie quotidienne.

     

     

     

  • Sur le rêve (24) Interroger pour connaître

    Freud poursuit : la représentation onirique des désirs sexuels refoulés, dans la mesure où ils sont susceptibles de la plus forte censure, va passer plus souvent que pour d'autres désirs par des symboles.

    On a pourtant noté au début de ce parcours (cf 2) sa défiance envers les interprétations passe-partout que les symboles peuvent induire, au détriment de la prise en compte de l'originalité irréductible de chaque psyché. Mais bon :

    « Le matériau de représentations sexuelles (…) doit absolument être remplacé par des suggestions, des allusions, et autres types de figuration indirecte, mais à la différence d'autres cas de figuration indirecte (celle-ci) doit être soustraite à l'intelligibilité immédiate.

    On s'est habitué à désigner les moyens de figuration correspondant à ces conditions comme des symboles de ce qui est figuré grâce à eux. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 12)

     

    Autrement dit aux grands refoulements les grands remèdes. Affirmation assortie de quelques précisions.

    « Il y a des symboles universellement répandus qu'on rencontre chez tous les rêveurs d'une même sphère linguistique et culturelle, et d'autres d'apparition extrêmement limitée et individualisés qu'un seul individu aura forgés dans son matériau de représentation.

    Parmi les premiers, on distingue ceux dont la prétention à représenter le sexuel est justifiée sans problème par l'usage du langage (par exemple les symboles issus du monde de l'agriculture, tels reproduction, semence) et d'autres dont la référence au sexuel semble remonter aux temps les plus anciens et aux profondeurs les plus obscures de la formation de nos concepts. »

    Mais il ne faut pas en déduire que, même dans le cas de ce mode quasiment universel de symbolisation, celle-ci soit pour autant à considérer comme intemporelle. Comme tout le reste des productions culturelles humaines, elle s'inscrit dans l'évolution historique.

    « La puissance de symbolisation, dans le cas des deux sortes de symboles distinguées ci-dessus n'est nullement éteinte à l'époque présente. On peut voir des objets nouvellement inventés (les aéronefs par exemple) aussitôt élevés au rang de symboles sexuels universellement utilisables. »

    Outre les exemples qu'on peut multiplier, voitures, armes, sans oublier smartphones, clés USB et autres tablettes, ce passage m'inspire une remarque.

    Après qu'il a été traité en son temps de danger pour l'ordre social et moral, on considère souvent Freud aujourd'hui comme un conservateur, pour ne pas dire un réactionnaire.

    Il est vrai que loin de prôner une liberté (sexuelle ou autre) débridée, la psychanalyse freudienne insiste sur la nécessité de limitations éthiques, et débusque la mauvaise foi des pervers qui justifient leurs crimes par des « pulsions incontrôlables ».

    Il est vrai aussi que Freud fut conservateur en politique (encore que cela mérite nuance), mais il ne l'était pas au plan intellectuel.

    Son anthropologie dessine au contraire un être humain dont l'humanité ne dépend pas de la conservation de « valeurs » intemporelles et intangibles, de la stérile reproduction culturelle d'une identité sacralisée. Mais tout au contraire de son aptitude à évoluer dans le temps, à s'ouvrir à l'altérité, à se libérer de ses conditionnements et certitudes.

    Et à prendre la parole en son propre nom avec ses mots.

    En l'occurrence, concernant l'interprétation du rêve,

    « Il serait, au demeurant, erroné d'espérer qu'une connaissance plus approfondie encore du symbolisme onirique (le ''langage du rêve'') puisse nous affranchir de la nécessité d'interroger le rêveur pour connaître les idées qui lui viennent à l'esprit à propos du rêve et nous ramener entièrement à la technique de l'antique oniromancie. »

     

  • Sur le rêve (23) Civilisé ou presque

    Avec le chap 12, le dernier avant la conclusion du chap 13, Freud aborde un thème qui lui est cher, la place du sexuel dans le mécanisme de refoulement.

    « L'analyse montre que de très nombreux autres rêves* qui dans leur contenu manifeste ne permettent pas d'identifier quoi que ce soit d'érotique, sont démasqués par le travail d'interprétation comme des satisfactions de désir de nature sexuelle. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 12)

     

    Pourquoi cette occurrence importante du sexuel dans le rêve ?

    « Pour éclairer ces données que la théorie ne permet pas de postuler, on signalera qu'aucun autre groupe de pulsions n'a connu du fait de l'éducation à l'existence civilisée une répression aussi vaste que précisément celui des pulsions sexuelles, mais aussi que chez la plupart des êtres humains les pulsions sexuelles sont celles qui s'y entendent le mieux à se soustraire à la domination par les plus hautes instances psychiques. »

    On peut ajouter, ceci découlant de cela : car il y a des chances que ce soit la répression qui ait favorisé l'ingéniosité à contourner ces plus hautes instances psychiques.

     

    L'éducation à l'existence civilisée amène à un autre must freudien, celui de l'existence d'une sexualité infantile, ignorée ou niée avant lui.

    « Depuis que nous avons appris à bien connaître la sexualité infantile, si insignifiante, souvent, dans ses expressions et régulièrement négligée et mal comprise, nous sommes autorisés à dire que tout homme civilisé ou presque a conservé sur tel ou tel point la configuration infantile de la vie sexuelle, et nous comprenons ainsi que les désirs infantiles de nature sexuelle refoulés constituent les forces motrices les plus fréquentes et les plus fortes impliquées dans la formation des rêves. »

     

     

    *Autres que les rêves explicitement érotiques, qu'il a mentionnés auparavant, en signalant qu'ils présentent parfois des singularités bizarres qui évoquent ce qu'on appelle l'univers de la perversion. (Rappelons que Freud entend essentiellement par perversion le fait d'érotiser d'autres éléments que les organes sexuels au sens strict : ex le fétichisme, concernant une partie du corps « neutre » ou un objet)