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Le blog d'Ariane Beth

  • Freud avec Charcot (2) Voir quelque chose de nouveau

    « On pouvait l'entendre dire que la plus grande satisfaction qu'un homme puisse vivre était de voir quelque chose de nouveau, c'est à dire de le reconnaître comme nouveau (…)

    D'où venait-il donc que les hommes ne voyaient jamais en médecine que ce qu'ils avaient déjà appris à voir, comme il était merveilleux de pouvoir voir brusquement de nouvelles choses – de nouveaux états pathologiques – qui pourtant étaient vraisemblablement aussi vieilles que le genre humain, et comme il devait lui-même se dire qu'il voyait maintenant bien des choses qui avaient durant trente ans échappé à son regard dans ses salles de malades. »

    (Freud. Article Charcot)

     

    Voilà qui rappelle nombre de passages de son œuvre où Sigmund feint de s'étonner.

    Par exemple que personne avant lui n'ait compris ce qu'il en était de l'hystérie : l'hystérique souffre de réminiscences, c'était si sorcier à deviner ?

    Ou du rêve : pour comprendre qu'il est l'accomplissement figuré d'un désir inconscient, fallait juste avoir l'idée de détricoter le travail du rêve (autrement dit se mettre à décoder, et arrêter de déconner avec des clés des songes et autres inepties, dirait Lacan) (d'ailleurs il l'a dit).

    Bref tous les moments, dans les écrits freudiens, d'autosatisfaction (plus ou moins distanciée, d'aucuns diront déguisée) qui ont le don de hérisser Onfray. (Sans doute parce que l'autosatisfaction c'est pas mal son rayon aussi) (mais pas d'analyse sauvage).

    Qui avait durant trente ans échappé à son regard dans ses salles de malades.

    Rapportée à Freud, cette notation amène deux réflexions. Lui ce n'est pas durant trente ans qu'il a cherché sans bien savoir quoi, mais presque quarante, depuis le désir de sa jeunesse d'apporter à l'humanité quelque chose de décisif.

    Oui excusez du peu hein. (Ce que c'est que d'avoir une mère juive en adoration devant son bambin) (c'est lui-même qui le dit).

    C'est autour de ses quarante ans qu'il finit par trouver sa voie, par un chemin auquel il n'avait pas songé, et que pour tout dire il trouvait en dessous de son standing intellectuel. Il se voulait grand théoricien, et c'est par la clinique qu'il fit le pas décisif, non pas dans ses salles de malades comme Charcot, mais chez lui (ou chez elles) en prenant au sérieux la parole des hystériques.

    Et pourtant c'est sans enthousiasme que, pour gagner la vie de sa famille, il s'était résolu à les écouter, ces bonnes femmes oisives qui faisaient des histoires.

     

  • Freud avec Charcot (1/5) Un visuel, un voyant

    « Il trouvait dans son grand succès un juste plaisir humain et aimait à parler de ses débuts et de la voie qu'il avait prise. »

    (Sigmund Freud Charcot. Article de 1893, in Résultats idées problèmes I PUF 1984)

     

    Freud publie cet article dans la Semaine médicale viennoise peu après la mort de Charcot, dont il avait suivi l'enseignement à la Pitié-Salpêtrière. C'est un hommage un tantinet hagiographique mais totalement sincère.

    Il rend compte de l'importance de Charcot dans l'histoire de la neuropsychiatrie, et dans celle d'un certain Sigmund par la même occasion. Il s'y acquitte de sa dette envers l'un de ses principaux maîtres.

    Mais au delà, pas besoin d'être grand exégète ni psychanalyste pour lire dans cet article un autoportrait par prétérition.

    « Ce n'était pas quelqu'un qui rumine, ni un penseur, mais une nature artistiquement douée, selon ses propres termes, un visuel*, un voyant (…)

    Il avait coutume de regarder toujours et à nouveau les choses qu'il ne connaissait pas, d'en renforcer l'impression jour après jour jusqu'à ce que soudain la compréhension en surgît. Devant l'œil de son esprit s'ordonnait alors le chaos, dont le retour incessant des mêmes symptômes avait donné l'illusion (…)

    Il appelait cette sorte de travail intellectuel où il n'avait pas son pareil, faire de la nosographie* et il en était fier. »

    *en français dans le texte (= description et classement des maladies)

    Une nature artistiquement douée, tel s'est sans doute voulu Freud l'esthète (tout en étant obligé de se reconnaître plutôt du côté des penseurs ruminants). En tout cas à la fin de sa vie, c'est bien en voyant qu'il se concevra dans l'identification à Moïse (L'homme Moïse et le monothéisme 1938).

    Quant à la nosographie initiée par Charcot, il l'appliquera dans tous les volets de son œuvre.

    Nosographie des névroses, explorant les caractéristiques de l'hystérie, de la phobie, de la névrose obsessionnelle.

    Nosographie des pathologies mentales en général, classées en névrose, psychose et perversion (cf l'ouvrage éponyme).

    Son classement des comportements « normaux » sera une nosographie aussi, voyant par exemple dans lapsus, actes manqués, tics et tocs, des symptômes à déchiffrer (d'où le titre psychopathologie de la vie quotidienne).

    De même il abordera sous l'angle nosographique la religion (dans nombre d'articles et surtout dans L'avenir d'une illusion), les arts, et même la science ou la philosophie. Bref l'ensemble des productions culturelles, et de là le phénomène-même de la culture.

    En somme, il s'est toujours agi pour lui de faire apparaître le lien organique, l'absence de solution de continuité, entre pathologique et normal.

     

  • Petit dico (14) Insuffisance

    « Ceux qui, en m'oyant dire mon insuffisance aux occupations du ménage, vont me soufflant aux oreilles que c'est dédain pour avoir (parce que j'ai) à cœur quelque plus haute science, ils me font mourir. Cela c'est sottise et plutôt bêtise que gloire. Je m'aimerais mieux bon écuyer que bon logicien. »

    Essais III, 9 (De la vanité)

     

    Les occupations du ménage dont il s'agit ne consistent pas à passer l'aspirateur, cirer le parquet, décrasser la baignoire, détartrer la cuvette des toilettes et faire la vaisselle. Pour cela Montaigne disposait d'employés de maison et techniciens de surface en suffisance.

    Il s'agit de la gestion du domaine, du management de l'entreprise « Eyquem et fils ».

    À plusieurs reprises dans les Essais il rend hommage aux qualités d'entrepreneurs de son arrière grand père Ramon et surtout de son père Pierre, qui non seulement fera prospérer le domaine agricole (cf 4) mais aussi travaillera fort habilement à dorer le blason de la famille pour pousser son fiston dans les hautes sphères.

    Ce qui autorisera Michel, le premier de la famille, à se faire appeler de Montaigne tout court, et non plus Eyquem de Montaigne.

    Avec un peu de vanité, assumée certes, mais non sans un tantinet de vergogne, sensible dans l'autodérision de certains passages.

    Son regret de l'inaptitude à la gestion n'est pas feint.

    Elle est incompétence, non mauvaise volonté, dit-il. Si le reproche à ce propos éveille un certain malaise en lui (ambiguïté de la formule qui se veut plaisante ils me font mourir), c'est surtout par mortification de n'être pas à la hauteur de ses prédécesseurs. Assortie de la culpabilité de ne pouvoir payer sa dette à leur égard avec une monnaie de même aloi.

    Une culpabilité dont il s'acquitte par la minimisation de son talent propre.

    « Ceux que je vois faire des bons livres sous de méchantes chausses, eussent premièrement fait leurs chausses, s'ils m'eussent cru. Demandez à un Spartiate s'il aime mieux être bon rhétoricien que bon soldat ; non pas moi que bon cuisinier, si je n'avais qui m'en servît. »

    Conclusion :

    Montaigne non seulement a fait un livre de génie, mais en plus sous des chausses chic : si c'est pas une sacrée chance, ça ! (Oui ceci est un petit exercice de diction).

    J'aurais dû m'appliquer quand ma mère cherchait à m'apprendre la couture.