« XII. L'Espérance (spes) est une Joie inconstante née de l'idée d'une chose future ou passée sur l'issue de laquelle nous avons quelque doute.
XIII. La Crainte (metus) est une Tristesse inconstante née de l'idée d'une chose future ou passée sur l'issue de laquelle nous avons quelque doute. »
(Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)
Spinoza renvoie pour plus de précisions au scolie 2 de la prop 18 P3. Je le cite car il montre bien comment fonctionne la combinatoire des affects.
« Par ce que l'on vient de dire, nous comprenons ce qu'est l'Espérance, la Crainte, la Sécurité (securitas), le Désespoir (desperatio), le Contentement (gaudium) et la Déception (conscientiae morsus, mot à mot : la morsure de conscience, autrement dit le remords).
L'Espérance, en effet, n'est rien d'autre qu'une Joie inconstante née de l'image* d'une chose future ou passée dont nous doutons de l'issue.
La Crainte, au contraire, une Tristesse inconstante également née de l'image d'une chose douteuse. »
Pour ces deux affects on a combinaison du paramètre de base joie/tristesse avec le paramètre doute, incertitude, ailleurs Spinoza dit flottement d'âme. Un flottement qui empêche le curseur de se fixer durablement sur l'échelle joie/tristesse, ce qui rend l'affect inconstant.
« De plus, si de ces affects le doute est supprimé, l'Espérance devient Sécurité, et la Crainte Désespoir. (…) Le Contentement, ensuite, est une Joie née de l'image d'une chose passée dont nous avons douté de l'issue. La Déception, enfin, est la Tristesse qui s'oppose au Contentement.»
La suppression du paramètre doute a pour effet de fixer l'affect auparavant inconstant.
Arrêter de flotter, être fixé, savoir à quoi s'en tenir. Notons que même lorsque la fixation se fait sur la tristesse du désespoir ou de la déception, on peut en ressentir un soulagement. Il est probable, lecteur-trice, que tu en as fait l'expérience, comme moi.
« Tant pis, j'aurais préféré qu'il en aille, que je fasse, autrement, mais bon, au moins je sais à quoi m'en tenir. Meshuy c'est fait comme dit Montaigne. »
C'est en gros de cette façon que Kierkegaard argumente la valeur possiblement positive du désespoir.
Côté chose future, cesser d'espérer, d'être dans l'incertitude quant à l'issue d'un projet, d'une relation, permet de reconsidérer les choses autrement. De trouver la force de repartir pour de nouvelles aventures.
Côté chose passée, admettre une bonne fois que sur telle chose, on ne peut pas être content de soi, de l'autre, ou de la vie, c'est certes une déception. Mais au moins on est libéré de la stérilité du regret et de la douleur du remords.
*On remarque que Spinoza emploie indifféremment image et idée (cf 4 à propos d'imagination et 6 à propos d'idée).