Autant le dire tout de suite : je vis en mauvaise intelligence avec l'intelligence artificielle. J'ai tort je sais, il faut lui reconnaître l'inestimable avantage de faire gagner pas mal temps à ceux qui veulent gagner un maximum d'argent.
Non je suis de mauvaise foi. Elle fait aussi gagner du temps dans les procédures vraiment utiles et un peu plus désintéressées de recherches en tous genres : en science, en médecine, en sociologie, dans la lutte contre les réseaux mafieux et/ou terroristes ...
Comme beaucoup de choses donc, la langue par exemple disait ce bon vieil Ésope, l'intelligence artificielle sera bonne ou mauvaise selon l'usage qui en sera fait.
De quoi dépend-il que la langue fasse du bien ou du mal ? De l'intention du locuteur. Et comment mettra-t-il en œuvre son intention ? Outre par le ton employé, essentiellement par le choix des mots, le lexique, le registre.
De même l'intelligence artificielle dépend de son paramétrage en fonction des buts qu'on lui assigne. Or celle avec laquelle nous sommes le plus souvent en relation (pardon, en interface) est celle des moteurs de recherche.
Lesquels poursuivent un but unique : leur rentabilité. But au service duquel sont créés des algorithmes pousse-au-clic.
Les dégâts de ce fonctionnement sont documentés, analysés, démontrés*. Reste encore à trouver comment le modifier.
Pour les gouvernements, essayer de faire comme les Incorruptibles avec Al Capone qui tomba (mais sans grand mal rassurons-nous) pour fraude fiscale ? Pour le citoyen de base, vous, moi, il s'agit d'être … euh … intelligent.
Capable de rationalité, de discernement, capable de peser la balance bénéfices/risques dans l'usage du machin. S'en servir sans le servir, sans s'y aliéner.
Certes on se pense responsable, on ne se croit pas contaminable par la servitude volontaire ... sauf que l'IA nous fait oublier l'aliénation en nous amusant de joujoux qui flattent en nous le narcissisme et facilitent la régression vers la pensée magique.**
Allez je vais terminer sur une note plus légère. Malgré ces grosses réticences, j'avoue ne pas détester jouer à « captcha », ce truc que les sites utilisent en guise de barrière à trolls. Je ne sais pas le sens exact du mot, et je n'ai pas cherché à savoir, je préfère imaginer, associer. Catch, chat, tchatcha, datcha (normal beaucoup de trolls russes), ou même pachacamac pour les tintinophiles …
Quand Captcha me somme de cocher la case je suis un humain, je m'exécute l'âme en paix, vu que c'est ce que je suis : un humain (enfin une humaine, mais bon).
Alors arrivent une série d'images assorties de la consigne : cocher tel ou tel truc. Et là, j'ai toujours l'impression que Captcha me dit : « Ah ah tu es un humain ? Vas-y prouve-le ! »
Alors pour prouver mon humanité, je coche consciencieusement les images de pandas dans un salon, de coccinelles dans la luzerne, de ballons de rugby (ou de hand, plus dur) de boules de bowling, feux rouges, passages piétons etc. Il m'arrive de me tromper (ben oui j'avoue) si bien que Captcha rajoute une série, comme on fait recommencer au cancre sa dictée truffée de fautes.
Enfin globalement je m'amuse, mais non sans regretter que l'intelligence, moins artificielle, plus artiste, un tantinet humaine, ne me propose pas plutôt des images de tournesols dans un vase, de femmes au sourire bizarre, et pourquoi pas de porcs-épics sur les genoux de Schopenhauer, voire d'araignées tissant leur toile entre deux pages de l'Éthique.
*Entre autres : Algorithmes, la bombe à retardement Cathy O'Neil Les Arènes 2018
L'ère de l'individu tyran Éric Sadin Grasset 2020
La civilisation du poisson rouge Bruno Patino Grasset 2020
Apocalypse cognitive Gérald Bronner PUF 2021
Homo numericus la ''civilisation'' qui vient Daniel Cohen Albin Michel 2022
**Voir à ce propos des séquences hilarantes dans le film Les 2 Alfred de Bruno Podalydès.