« On n'a pas assez senti en politique combien une certaine égalité est l'ennemie de la liberté. En Grèce, il y avait des hommes libres parce qu'il y avait des esclaves. »
« ''C'est toujours un grand crime de détruire la liberté d'un peuple sous prétexte qu'il en fait un mauvais usage.'' (Tocqueville) »
(Camus Carnets 1941)
Avec ces deux notes qui se suivent dans le carnet, on a l'impression que Camus prépare une dissertation. Ça fait un peu sujet du bac. « À l'aide de ces deux citations, vous définirez les conditions d'exercice de la liberté dans son rapport à l'égalité, celui de la démocratie dans son rapport à la dictature. »
L'idée que l'égalité pourrait contredire la liberté je la trouve non seulement scandaleuse, mais vraiment absurde.
La Boétie démontre clairement le contraire : la servitude volontaire (qui est l'absolu contraire de la liberté, étant renonciation au désir-même de liberté) ne peut s'installer que dans un rapport d'inégalité. Un rapport fondé sur du plus ou du moins. On s'aliène à un plus riche, plus puissant, en espérant ainsi pouvoir à son tour dominer un moins riche, moins puissant.
La liberté commence donc là où cesse le pouvoir de l'inégalité, et surtout son attrait sur les consciences, cette envie d'être un peu (ou beaucoup) « plus égal » que l'autre.
La liberté, dit La Boétie, commence donc par savoir dire juste ce petit mot : non. Et de là parfois on peut travailler à réduire les inégalités, autrement dit à faire progresser la justice.
Quant à la deuxième citation, il est clair que ceux qui décident quel est le « bon usage » de la liberté des autres sont ceux qui considèrent en avoir le droit : ou bien parce qu'ils ont le pouvoir, et veulent le garder. Ou bien parce qu'ils ne l'ont pas et veulent le prendre.
Ça fait beaucoup de monde qui travaille à l'aliénation généralisée.