« Si nous concevons le contenu du rêve comme la figuration d'un désir satisfait et ramenons son obscurité aux modifications pratiquées par la censure sur du matériau refoulé, nous n'avons plus de mal désormais à percer le secret de la fonction du rêve.
En contradiction étonnante avec les locutions selon lesquelles le sommeil est perturbé par des rêves, nous sommes bien obligés de reconnaître le rêve comme le gardien du sommeil. »
(Sigmund Freud Sur le rêve chap 11)
Le cas du rêve enfantin est le plus simple, poursuit-il. Pour endormir un enfant, on lui lit des histoires quand il est dans un état de semi-conscience où, déjà gagné par le sommeil, il ne fait plus trop la différence entre la réalité et l'imaginaire. Le mécanisme de figuration du désir en est évidemment facilité.
Pour l'adulte, c'est moins simple.
« Cependant que l'instance dans laquelle nous identifions notre moi normal se règle sur le désir de dormir, elle semble contrainte par les conditions psychophysiologiques du sommeil à baisser le niveau d'énergie avec lequel d'ordinaire elle contenait le refoulé sous sa pression. »
C'est bon, je suis empêché par le sommeil d'agir ce que je rêve, je peux me laisser aller, se dit le « moi normal ». Il laisse donc passer les désirs refoulés.
Mais le moi, on l'a vu (cf 18) est surtout en charge de gérer la réalité : quelque chose en nous ne dort jamais que d'un œil, reste sur le qui-vive.
« Nous devons admettre l'hypothèse que même dans un profond sommeil demeure offerte la contribution d'une libre attention faisant fonction de gardien (qui peut être confronté à) des stimuli sensoriels qui par exemple font apparaître le réveil comme plus souhaitable que la situation de sommeil. »
Ces stimuli doivent être d'une certaine qualité, exemples : « la mère (réveillée) par les geignements de son enfant, le meunier par le fait que son moulin s'est arrêté (ou va trop vite, dirait la chanson), et la plupart des êtres humains à l'appel à voix basse de leur nom. »
« Or cette attention qui monte la garde se tourne également vers les stimuli de désirs intérieurs issus du refoulé et élabore avec eux le rêve, qui en sa qualité de compromis contente ainsi simultanément les deux instances », celle qui veut dormir et celle qui veut rêver la satisfaction de son désir.
« Notre moi aime en la circonstance se comporter comme un enfant ». Ou comme Éluard : Je rêve que je dors je rêve que je rêve ...
« Cette conception n'est pas infirmée par le fait qu'il existe des cas limites pour le rêve, dans lesquels il ne peut plus tenir sa fonction de protection contre l'interruption du sommeil – comme dans le cas du rêve d'angoisse – (cf 20) et l'échange avec une autre fonction, qui est de l'arrêter à temps.
En l'espèce il ne fait que se comporter comme le veilleur de nuit consciencieux, qui fait d'abord son devoir en faisant taire les perturbations, afin de ne pas troubler les citoyens, mais continue de l'accomplir en réveillant ces mêmes citoyens quand les causes du trouble lui semblent sérieuses et qu'il n'en vient pas à bout lui-même par ses seuls moyens. »
Moyens qui consistent, on le sait, à intégrer au rêve les stimuli gênants (et même à le fabriquer en un éclair à partir d'eux) (la sonnerie du réveil ? Mais non, je suis au concert) « pour prolonger encore le sommeil d'un petit moment ».