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  • Sur le rêve (6) Trois catégories

    « Pour ce qui est du rapport du contenu onirique latent au contenu manifeste, les rêves peuvent être classés en trois catégories. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 3)

     

    Première catégorie :

    « Les rêves qui sont tout à la fois chargés de sens et compréhensibles, c'est à dire autorisent qu'on les range dans notre vie psychique (…) il n'y a rien en eux qui suscite étonnement ou sentiment d'étrangeté. »

    Deuxième catégorie :

    « Les rêves qui certes ont une cohérence interne et un sens transparent, mais qui ont un effet déconcertant, parce que nous ne savons où héberger ce sens dans notre vie psychique. Nous avons affaire à un cas de ce genre quand par exemple nous rêvons qu'un être cher de notre famille est mort de la peste, alors que nous n'avons aucune raison d'attendre, de redouter ou de supposer la chose, et que nous demandons, étonnés : comment est-ce que j'en suis venu à cette idée ? »

    Troisième catégorie :

    « Les rêves auxquels les deux choses font défaut, le sens et le caractère intelligible, qui apparaissent dénués de cohérence, confus et absurdes. Le plus grand nombre, et de loin, des productions de notre activité onirique présente ces caractères, et ce sont ceux-là qui ont fondé le peu d'intérêt accordé aux rêves ainsi que la théorie médicale de l'activité psychique restreinte.* »

    Sans surprise ce sont les catégories 2 et 3 qui seront étudiées le plus à fond, car « C'est ici qu'on rencontre ces énigmes qui ne disparaissent que lorsqu'on remplace le rêve manifeste par le contenu de pensée latent » comme il l'a fait pour le rêve de la table d'hôte. (cf 4)

    Mais d'abord il va envisager la catégorie 1, dont le principal (et intéressant) caractère est la coïncidence des contenus manifeste et latent, « où il semble qu'on fasse l'économie du travail du rêve » (ce travail de déguisement des pensées cf 5).

    Dans cette catégorie, les rêves des enfants. C'est ainsi que la prochaine fois nous rencontrerons une petite fille gourmande, un petit garçon fasciné par une montagne, et une petite fille dans un lit trop grand. Ou pas.

     

    *Théorie (en particulier d'un certain Binz) qu'il a résumée ainsi au premier chapitre : « La totalité des caractéristiques de vie onirique s'explique par le travail sans cohérence interne que déclenchent des stimuli physiologiques chez certains organes ou chez certains groupes de cellules spécifiques dans le cerveau, qui sinon (dont tout le reste) est enfoncé dans le sommeil. »

     

     

     

     

     

  • Sur le rêve (5) Du manifeste au latent

    « L'approche qui s'impose déjà à moi tend à expliquer que le rêve est une sorte d'ersatz pour les démarches de pensée chargées d'affects et de sens auxquelles je suis parvenu une fois l'analyse achevée. (…)

    J'oppose le rêve tel qu'il est donné dans le souvenir au matériau correspondant trouvé par l'analyse, je donne au premier le nom de contenu onirique manifeste, et au second – dans un premier temps sans autre différenciation que celle-là – le nom de contenu onirique latent. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 2)

     

    Il faut peser dans ces phrases une chose, qui est fondamentale dans la théorie freudienne. Un rêve est posé comme ne valant que par son interprétation. Non interprété, sans le décodage du manifeste pour accéder au latent, le rêve n'a qu'une fonction d'ersatz. Comme un ersatz, il suffit à pallier le besoin (pour le fonctionnement cérébral, au plan physiologique), mais laisse en suspens le désir du sujet rêvant. C'est à dire ce qui dans les démarches de pensée est chargé d'affects et de sens.

    Cela étant, avec l'opposition manifeste/latent qui fait du rêve une énigme à résoudre, Freud rejoint-il la conception archaïque : le rêve est un message des dieux ?

    Tiens au fait, posons-nous la question au passage : pourquoi les dieux ne parlent-ils pas un langage simple et direct, au lieu de passer par les détours de l'énigme ? La réponse est simple : ça marche mieux. Il n'est que de constater la stupéfiante mais perdurante facilité à croire les vaticinations des charlatans (au détriment des discours précis, argumentés et vérifiables). Paradoxale crédibilité du fumeux :

    « Il est des humeurs comme cela, à qui l'intelligence porte dédain, qui m'en estimeront mieux de ce qu'ils ne sauront ce que je dis : ils concluront la profondeur de mon sens par l'obscurité » (Montaigne Essais III,9 De la vanité)

    Mais revenons à Freud. En tant que rationaliste affirmé, pour lui le message onirique n'est évidemment pas délivré par une quelconque instance divine. Il ne vient pas au rêveur de l'extérieur, mais de lui-même. Le rêve est un message dont on est à la fois l'expéditeur et le destinataire. Un processus intra-psychique.

    « Je me retrouve alors devant deux problèmes nouveaux, non formulés jusqu'à présent, qui sont de savoir :

    1)quel est le processus psychique qui a transféré le contenu onirique latent dans le contenu manifeste qui m'est connu par le souvenir, et

    2)quel est le motif ou quels sont les motifs qui ont exigé cette transformation ?

    Au processus de transformation du contenu onirique latent en contenu manifeste, je donnerai le nom de travail du rêve. Quant au travail symétrique qui fournit la prestation inverse de re-transformation, je le connais déjà sous le nom de travail d'analyse. »

     

  • Sur le rêve (4) Le contraire qui est vrai

    « Un repas en société, on est assis, table ordinaire ou 'table d'hôte' … On mange des épinards … Madame E.L. est assise à côté de moi, se tourne entièrement de mon côté et pose familièrement la main sur mon genou. J'écarte la main d'un geste dissuasif. Elle me dit alors : mais vous avez toujours eu de si beaux yeux … Je vois ensuite indistinctement quelque chose comme deux yeux qui seraient dessinés ou comme le contour d'un verre de lunette. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 2)

     

    Freud signale d'abord qu'il trouve ce rêve dérangeant. « Madame E.L. est une personne avec qui j'ai à peine eu quelque relation amicale, ni n'en ai, autant que je sache, jamais désiré de plus cordiale. »

    Entre nous la dame a dû se demander comment elle devait prendre ces propos « pourquoi donc suis-je allé rêver de cette bonne femme qui n'est pas du tout mon genre » (Heureusement pour le narcissisme de cette pauvre Madame E.L. le précautionneux autant que je sache.)

    Puis il se lance dans l'analyse, selon la méthode qui consiste à « décomposer le rêve en ses éléments et à rechercher pour chacun de ses fragments les idées qui viennent s'y accrocher. »

    Les éléments considérés sont : la table d'hôte, le geste de la dame, la mention des beaux yeux, les épinards. Il déroule alors fil à fil les différentes associations. Pour cause de format je fais l'impasse sur ces passages. Comme dans la Traumdeutung, ils sont certes le plus concret et amusant de l'ouvrage, mais si je m'y attarde on n'est pas sorti de la table d'hôte. Je vais donc directement à la théorisation qui est le but de Freud.

    Il signale d'abord l'émergence d'une logique (inattendue) dans ce rêve. Les associations, malgré le côté hétéroclite des éléments de départ et leurs ramifications nombreuses semblables aux méandres d'un fleuve, débouchent pourtant sur une unique idée qu'il formule ainsi :

    « N'est-il pas courant, lorsque quelqu'un attend que d'autres se soucient de son avantage, sans y trouver eux-mêmes le leur, de demander ironiquement à ce mal élevé : ''Croyez-vous donc que ceci ou cela vous arrivera pour vos beaux yeux ?'' Dès lors, ce que dit Madame E.L ''vous avez toujours eu de si beaux yeux'' ne signifie rien d'autre que : les gens ont toujours tout fait pour l'amour de vous ; vous avez toujours tout eu pour rien.

    C'est naturellement le contraire qui est vrai : tout ce que d'autres ont pu me faire comme bien, je l'ai payé cher. »

    Une certaine amertume dans cette dernière phrase en forme de règlement de comptes. Amertume rare dans les écrits de Freud, jugulée d'habitude par sa confiance en lui, en la validité de ses théories. Elle est en fait à la mesure de la déception que la parution de sa Traumdeutung n'ait pas fait date, comme il s'y attendait (cf 1).

    Mais C'est naturellement le contraire qui est vrai, au-delà des états d'âme de Sigmund, ouvre implicitement sur une hypothèse théorique : et s'il fallait remonter à contresens pour accéder au sens du rêve ?