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  • Sur le rêve (9) Une grandiose opération de condensation

    Freud revient sur l'analyse de son rêve de la table d'hôte (cf 4).

    « Il apparaît dans cette analyse que ma femme s'occupe d'autres personnes à cette table, ce que je ressens comme désagréable ; de cela le rêve contient l'exact contraire, savoir, que la personne qui remplace ma femme tourne toute son attention vers moi. Mais à quel désir un épisode vécu désagréable peut-il mieux donner lieu qu'à celui que ce soit le contraire de cet épisode qui se soit produit, comme le rêve en contient l'accomplissement ? (…)

    Une partie des antagonismes entre contenu onirique manifeste et contenu latent devrait donc pouvoir être ramené à une satisfaction de désir. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 4)

     

    Mais le travail du rêve ne porte pas seulement sur ce bidouillage, ce bricolage, qui grime le désagréable en agréable.

    « Il y a une autre prestation – plus évidente encore – du travail onirique, qui fait naître les rêves incohérents. Quand on compare, dans n'importe quel exemple, le nombre d'éléments imaginaires ou l'ampleur de la consignation écrite dans le cas du rêve proprement dit et dans les pensées du rêve auxquelles l'analyse aboutit (…) on ne peut douter que le travail onirique a réalisé une grandiose opération de compression ou condensation»

    C'est pourquoi un rêve noté en peu de mots, raconté en quelques minutes, peut nécessiter une dizaine de pages (ou d'heures de divan) pour son interprétation.

    « On ne peut dans un premier temps juger des dimensions de cette condensation. Mais elle impressionne d'autant plus qu'on a pénétré profondément dans l'analyse du rêve. On ne trouve là aucun élément du contenu onirique dont les fils associatifs ne partiraient pas dans deux ou plusieurs directions, aucune situation qui ne serait l'aboutement de deux ou plusieurs impressions et épisodes vécus. »

    Cependant tout n'est pas apte à la condensation, elle obéit à certains critères.

    « Il est donc requis qu'il existe déjà dans tous les composants un – ou plusieurs – élément commun. Le travail du rêve procède donc comme Francis Galton* quand il réalise des photos familiales. Il recouvre les différents composants les uns par les autres comme s'il les superposait ; après quoi l'élément commun ressort nettement dans l'image globale, les détails qui se contredisent s'effacent à peu près entièrement les uns les autres. Ce processus de fabrication explique aussi en partie les définitions hésitantes (…) d'un flou caractéristique. (…)

    L'interprétation du rêve énonce alors la règle suivante : (…) on remplacera cet ou bien ou bien par un « et », et on prendra chaque membre de l'alternative apparente comme point de départ indépendant d'une série d'idées spontanées. »

    Cette exploration pas à pas du labyrinthe onirique en suivant les différents fils associatifs fait parfois de l'analyse d'un rêve une longue randonnée, agréable ou pas, selon les paysages intérieurs qui s'y révèlent …

    Mais tout n'est pas dit encore sur le travail de condensation, on en saura un peu plus la prochaine fois.

     

    *Francis Galton (1822-1911) photographiait sur une même plaque plusieurs membres d'une même famille pour faire ressortir leurs traits communs. En fait son propos était eugéniste : différencier les « bons » traits des « mauvais ». Théorie absurde en fait, et surtout dangereuse, dont on sait l'usage qui fut fait dans la suite.

     

  • Sur le rêve (8) Une vision directe au présent

    Les adultes ont aussi parfois des rêves directs, surtout quand un besoin intense est en jeu.

    « Le chef d'une expédition polaire rapporte ainsi par exemple que pendant tout l'hivernage forcé dans les glaces, avec l'alimentation monotone et les rations spartiates, son équipage rêvait régulièrement, comme les enfants, de grands repas, de montagnes de tabac, et de ce qu'ils étaient à la maison. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 3)

     

    Remarquons les montagnes de tabac qui s'imposent comme exemple de besoin intense à l'esprit de ce « médecin viennois qui fumait des cigares pour se donner un cancer de la langue » comme dit avec une affectueuse ironie Delphine Horvilleur (Il n'y a pas de Ajar Grasset 2022).

    Plus sérieusement, on sait que les rêves d'enfin manger à sa faim, d'enfin retrouver son chez soi, sont rapportés dans beaucoup de récits de déportés.

    Freud poursuit « Il est certain que ce serait pour les énigmes du rêve une solution simple et satisfaisante si par exemple le travail d'analyse devait nous permettre de ramener également les rêves d'adultes absurdes et confus au type infantile de satisfaction d'un désir diurne éprouvé avec intensité. »

    Simple et satisfaisante ? Simple oui, satisfaisante pas sûr : il faut bien que notre Sigmund ait des occasions de faire preuve d'acuité clinique, de rigueur analytique et d'inventivité théorique ...

    « Mais avant de quitter les rêves infantiles » il note que « je peux remplacer chacun de ces rêves par une phrase optative : Ah si (…) (pas de chance pour moi il prend ses exemples dans les rêves que je n'ai pas mentionnés. Alors disons : ah si j'étais monté sur le Dachstein) : « simplement le rêve fournit plus que cet optatif. Il montre le désir comme étant déjà satisfait, figure son accomplissement comme réel et actuel, et le matériau de la figuration onirique consiste de manière prépondérante – quoique non exclusivement – en situations et en images sensorielles le plus souvent visuelles. Dans ce groupe aussi on ne déplore donc pas complètement l'absence d'une sorte de transformation – que l'on peut désigner comme travail du rêve : une pensée à l'optatif est remplacée par une vision directe au présent. »

    On ne déplore donc pas complètement l'absence : voilà qui nous fait noter pour notre part combien Freud tient à son schéma fondé sur l'hypothèse d'un travail psychique à l'origine de la production du rêve.

    Ce sont les modalités de ce travail qu'il va s'attacher à étudier dans la suite.

     

  • Sur le rêve (7) Monter sur le Dachstein

    « Une fillette de 19 mois est laissée à jeun pendant toute une journée parce qu'elle a vomi le matin et que selon les dires de sa nurse elle s'est rendue malade en mangeant des fraises. La nuit qui suit ce jour de jeûne on l'entend prononcer son propre nom pendant son sommeil en y ajoutant les mots suivants : ''fraises, groseilles, œufs brouillés, bouillie''. Elle rêve donc qu'elle mange, et relève dans son menu ce qui dans les temps qui viennent, à ce qu'elle suppose, lui restera dispensé avec parcimonie. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 3)

     

    Son propre nom : en fait c'est Anna Freud, sa fille. Le nom est cité pour ce rêve dans la Traumdeutung. Pourquoi le censure-t-il ici ? Sans doute pour répondre à la critique émise sur son premier livre : c'est très personnel tout ça, vous extrapolez abusivement.

    Dans la Traumdeutung aussi, il précise l'enjeu psychique crucial d'un rêve si simple.

    « Quand nous disons que l'enfance est heureuse parce qu'elle ne connaît pas encore le besoin sexuel, nous oublions quelle source permanente de déceptions, de renoncement et, partant, de rêves, est pour elle l'autre grand besoin vital (c'est à dire manger). »

    (TD chap 3 Le rêve accomplissement de désir)

     

    Autre rêve d'enfant : « Un garçon de 5 ans et 3 mois semblait peu satisfait d'une marche dans la région du Dachstein ; chaque fois qu'une nouvelle montagne était en vue, il voulait savoir si c'était le Dachstein, puis il avait refusé de faire avec les autres le chemin qui menait à la cascade. Sa conduite fut imputée à la fatigue, mais il s'expliqua mieux quand le lendemain matin il raconta son rêve et dit qu'il était monté sur le Dachstein. (…) Dans le rêve il rattrapait ce que la journée ne lui avait pas apporté. »

    Dachstein signifie pierre de toit. Un nom qui incite visiblement le petit garçon à désirer aller vers le haut (du coup la cascade qui tombe, c'est quasiment de la provocation). À défaut de monter sur le « Toit du monde », c'est le désir d'atteindre pour commencer le sommet dans son petit monde à lui.

    Freud ne commente pas si avant : d'une part il se doute que le lecteur a compris à demi-mot, d'autre part il se concentre pour l'instant sur la seule question du travail du rêve :

    « Ce qu'il y a de commun à ces rêves d'enfants (il en note aussi quatre autres) saute aux yeux.Tous satisfont des désirs mis en branle dans la journée, tout en restant insatisfaits. Ce sont des satisfactions de désirs simples et non voilées. »

     

    Un autre rêve vient préciser, de manière encore plus claire que celui du Dachstein, le désir de fond de ces enfants, celui qui motive les autres.

    « Une petite fille qui n'avait pas encore 4 ans (…) dormait la nuit, chez une tante sans enfant, dans un grand lit – évidemment bien trop grand pour elle. Le lendemain elle fit savoir qu'elle avait rêvé que le lit était bien trop petit pour elle, et qu'elle n'y avait pas trouvé assez de place. »

    Freud commente : désir classique des enfants, être grand.

    Mais ce qui est délectable dans ce rêve, je trouve, c'est l'ironie. Aux adultes qui répètent « tu es trop petite pour ceci ou cela », la petite réplique non sans malice « je suis plus grande que vous, la preuve, je suis à l'étroit dans votre lit pour grandes personnes. »

    Je me demande par ailleurs si Freud ne veut pas laisser entendre qu'il y a quelque chose de caché sous ce grand lit, caché dans l'inconscient de la petite fille, qui a hâte d'être grande car elle sait déjà, sans savoir qu'elle le sait, que dans les grands lits on ne fait pas que dormir et rêver.

    « Une étude plus attentive de l'âme de l'enfant nous apprend qu'en réalité les tendances sexuelles sous leur forme infantile, jouent dans l'activité psychique de l'enfant un rôle considérable qui n'a été que trop méconnu. » dit-il dans une note du chap 3 de la TD.