Freud revient sur l'analyse de son rêve de la table d'hôte (cf 4).
« Il apparaît dans cette analyse que ma femme s'occupe d'autres personnes à cette table, ce que je ressens comme désagréable ; de cela le rêve contient l'exact contraire, savoir, que la personne qui remplace ma femme tourne toute son attention vers moi. Mais à quel désir un épisode vécu désagréable peut-il mieux donner lieu qu'à celui que ce soit le contraire de cet épisode qui se soit produit, comme le rêve en contient l'accomplissement ? (…)
Une partie des antagonismes entre contenu onirique manifeste et contenu latent devrait donc pouvoir être ramené à une satisfaction de désir. »
(Sigmund Freud Sur le rêve chap 4)
Mais le travail du rêve ne porte pas seulement sur ce bidouillage, ce bricolage, qui grime le désagréable en agréable.
« Il y a une autre prestation – plus évidente encore – du travail onirique, qui fait naître les rêves incohérents. Quand on compare, dans n'importe quel exemple, le nombre d'éléments imaginaires ou l'ampleur de la consignation écrite dans le cas du rêve proprement dit et dans les pensées du rêve auxquelles l'analyse aboutit (…) on ne peut douter que le travail onirique a réalisé une grandiose opération de compression ou condensation. »
C'est pourquoi un rêve noté en peu de mots, raconté en quelques minutes, peut nécessiter une dizaine de pages (ou d'heures de divan) pour son interprétation.
« On ne peut dans un premier temps juger des dimensions de cette condensation. Mais elle impressionne d'autant plus qu'on a pénétré profondément dans l'analyse du rêve. On ne trouve là aucun élément du contenu onirique dont les fils associatifs ne partiraient pas dans deux ou plusieurs directions, aucune situation qui ne serait l'aboutement de deux ou plusieurs impressions et épisodes vécus. »
Cependant tout n'est pas apte à la condensation, elle obéit à certains critères.
« Il est donc requis qu'il existe déjà dans tous les composants un – ou plusieurs – élément commun. Le travail du rêve procède donc comme Francis Galton* quand il réalise des photos familiales. Il recouvre les différents composants les uns par les autres comme s'il les superposait ; après quoi l'élément commun ressort nettement dans l'image globale, les détails qui se contredisent s'effacent à peu près entièrement les uns les autres. Ce processus de fabrication explique aussi en partie les définitions hésitantes (…) d'un flou caractéristique. (…)
L'interprétation du rêve énonce alors la règle suivante : (…) on remplacera cet ou bien ou bien par un « et », et on prendra chaque membre de l'alternative apparente comme point de départ indépendant d'une série d'idées spontanées. »
Cette exploration pas à pas du labyrinthe onirique en suivant les différents fils associatifs fait parfois de l'analyse d'un rêve une longue randonnée, agréable ou pas, selon les paysages intérieurs qui s'y révèlent …
Mais tout n'est pas dit encore sur le travail de condensation, on en saura un peu plus la prochaine fois.
*Francis Galton (1822-1911) photographiait sur une même plaque plusieurs membres d'une même famille pour faire ressortir leurs traits communs. En fait son propos était eugéniste : différencier les « bons » traits des « mauvais ». Théorie absurde en fait, et surtout dangereuse, dont on sait l'usage qui fut fait dans la suite.