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Sur le rêve (4) Le contraire qui est vrai

« Un repas en société, on est assis, table ordinaire ou 'table d'hôte' … On mange des épinards … Madame E.L. est assise à côté de moi, se tourne entièrement de mon côté et pose familièrement la main sur mon genou. J'écarte la main d'un geste dissuasif. Elle me dit alors : mais vous avez toujours eu de si beaux yeux … Je vois ensuite indistinctement quelque chose comme deux yeux qui seraient dessinés ou comme le contour d'un verre de lunette. »

(Sigmund Freud Sur le rêve chap 2)

 

Freud signale d'abord qu'il trouve ce rêve dérangeant. « Madame E.L. est une personne avec qui j'ai à peine eu quelque relation amicale, ni n'en ai, autant que je sache, jamais désiré de plus cordiale. »

Entre nous la dame a dû se demander comment elle devait prendre ces propos « pourquoi donc suis-je allé rêver de cette bonne femme qui n'est pas du tout mon genre » (Heureusement pour le narcissisme de cette pauvre Madame E.L. le précautionneux autant que je sache.)

Puis il se lance dans l'analyse, selon la méthode qui consiste à « décomposer le rêve en ses éléments et à rechercher pour chacun de ses fragments les idées qui viennent s'y accrocher. »

Les éléments considérés sont : la table d'hôte, le geste de la dame, la mention des beaux yeux, les épinards. Il déroule alors fil à fil les différentes associations. Pour cause de format je fais l'impasse sur ces passages. Comme dans la Traumdeutung, ils sont certes le plus concret et amusant de l'ouvrage, mais si je m'y attarde on n'est pas sorti de la table d'hôte. Je vais donc directement à la théorisation qui est le but de Freud.

Il signale d'abord l'émergence d'une logique (inattendue) dans ce rêve. Les associations, malgré le côté hétéroclite des éléments de départ et leurs ramifications nombreuses semblables aux méandres d'un fleuve, débouchent pourtant sur une unique idée qu'il formule ainsi :

« N'est-il pas courant, lorsque quelqu'un attend que d'autres se soucient de son avantage, sans y trouver eux-mêmes le leur, de demander ironiquement à ce mal élevé : ''Croyez-vous donc que ceci ou cela vous arrivera pour vos beaux yeux ?'' Dès lors, ce que dit Madame E.L ''vous avez toujours eu de si beaux yeux'' ne signifie rien d'autre que : les gens ont toujours tout fait pour l'amour de vous ; vous avez toujours tout eu pour rien.

C'est naturellement le contraire qui est vrai : tout ce que d'autres ont pu me faire comme bien, je l'ai payé cher. »

Une certaine amertume dans cette dernière phrase en forme de règlement de comptes. Amertume rare dans les écrits de Freud, jugulée d'habitude par sa confiance en lui, en la validité de ses théories. Elle est en fait à la mesure de la déception que la parution de sa Traumdeutung n'ait pas fait date, comme il s'y attendait (cf 1).

Mais C'est naturellement le contraire qui est vrai, au-delà des états d'âme de Sigmund, ouvre implicitement sur une hypothèse théorique : et s'il fallait remonter à contresens pour accéder au sens du rêve ?

 

Commentaires

  • Bonjour, Ariane. Votre blog ayant joué les invisibles ce week-end, comme le mien, je lis vos "chroniques de rêve" ce matin.
    Dans ce "C'est naturellement le contraire qui est vrai", je m'interroge : pourquoi "naturellement" ?

  • Bien lu, Tania ! Ce "naturellement" accroche en effet, exactement comme un mot incongru dans le récit d'un rêve. Il est en fait un indicateur (volontaire ou inconscient ? ...) de la notion de refoulement que Freud exposera plus loin.

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