« Je ne mets au-dessus d'un grand politique que celui qui néglige de le devenir, et qui se persuade de plus en plus que le monde ne mérite point qu'on s'en occupe. »
La Bruyère Les Caractères (Des jugements 75)
Le monde ne mérite point qu'on s'en occupe. C'est vrai : plus le monde est immonde, laid, inhumain, brutal et surtout si bête, plus on a tendance à se sentir Alceste. Déjà bien beau qu'on arrive à se protéger, à éviter la contamination de laideur et de connerie.
Avec un soupçon de morgue, peut être. Car on hésite à se l'avouer, mais ce qu'on pense au fond ne serait-ce pas : le monde ne mérite pas que quelqu'un de mon mérite s'en occupe.
Montaigne dit en gros : déléguons le boulot aux pourris, ils savent faire. Oui pourrir encore plus, ils sauront c'est sûr. (Et Montaigne n'était sérieux qu'à demi, comme souvent).
Le monde ne mérite point qu'on s'en occupe. Scrogneugneu. Na. Voilà.
Oui OK. Et après tu fais quoi ? Tu te suicides tout de suite ou tu attends le prochain accident nucléaire, le prochain attentat terroriste, le prochain cyclone dévastateur, planqué dans ton bunker splendidement isolé ?
Dans un temps que les moins de 60 ans ne peuvent même pas imaginer, on disait (quand on était de gauche) : si tu t'occupes pas de politique, la politique s'occupera de toi.
Persistant faut croire dans la gaucherie, je le pense toujours. Vous êtes embarqués il faut parier dirait Pascal.
L'ennui c'est que La Bruyère n'a pas totalement tort (c'est pourquoi je lui rends hommage par un euphémisme, figure de style fort prisée à son époque).
Vu le comportement requis (accommodement éthique, déni de la réalité au profit d'un discours que l'on fantasme performatif etc.) pour grimper dans un parti quel qu'il soit, pour se faire bien voir des médias, bref tout ce qui fait aujourd'hui la carrière politique, on ne peut qu'acquiescer : si le petit politique abonde, le grand politique lui n'existe guère (ou alors à l'état de chef d'œuvre inconnu).
Reste une réalité : l'homme est un animal politique c'est incontournable, comme disait ce bon vieil Aristote.
Soit. Choisissons donc notre totem. Laissons coqs et paons de basse-cour rivaliser dans leurs parades, hyènes et lions se disputer toutes sortes de charognes. Regardons du côté de petites bêtes actives et coopératives, comme les fourmis, les abeilles.
Et dépêchons-nous tant qu'il en reste : il paraît que dans un avenir proche, l'insectitude sera essentiellement représentée par les mouches, moustiques et autres cafards.
Cela dit, faut voir le bon côté : on ne peut rêver meilleur vivier de politiques potentiels.