« Charcot ne se fatigua jamais non plus de défendre contre les empiétements de la médecine théorique les droits du pur travail clinique qui consiste à voir et ordonner.(...)
''La théorie c'est bon, mais ça n'empêche pas d'exister''*. » (Freud. Article Charcot)
*en français dans le texte.
Freud dit avoir été, de même que les autres étudiants étrangers comme lui élevés dans la physiologie académique allemande, très impressionné par cette formule.
Mais il ne dit pas quel mot exactement a fait schibboleth.* On parie que c'est « ça » ? (Mais non je rigole).
« Ce fut alors une chance que le même homme pût se charger de l'exercice des deux compétences, créant d'un côté les tableaux pathologiques par l'observation clinique, et démontrant de l'autre (…) le fondement du mal. »
Donner à la clinique tous ses droits face à la théorie, mais aussi, à partir de la clinique, produire de la théorie : cet aller-retour constant constitue tout le ressort du travail et de l'œuvre de Freud.
La création d'une nosographie suppose déjà une théorisation implicite. C'est pourquoi il a été tenté de prendre des libertés par ci par là avec les observations cliniques, de tripatouiller les données dans le sens de ses intuitions.
On le lui a à juste titre reproché, et d'ailleurs (on l'oublie souvent) il se l'est lui-même parfois reproché.
Exemples entre autres le récit du rêve de "l'injection à Irma" (L'interprétation du rêve chap 2), ou l'analyse du cas Dora dans Cinq psychanalyses.
L'auto-reproche tenait lieu d'aiguillon pour reconsidérer ce qui « existait » en dépit d'une théorisation trop hâtive. En revanche les reproches venus des autres étaient moins bien accueillis. C'est que dans l'équipe faut quand même reconnaître le chef.
« ''L'école de la Salpêtrière'', c'était naturellement Charcot lui-même, qu'il n'était pas difficile de reconnaître en chacun des travaux de ses élèves (…)
Dans le cercle des jeunes hommes qu'il attira ainsi à lui et qu'il fit participer à ses recherches (…) il arriva que tel se distingua par une affirmation que le maître trouvait plus brillante que juste et qu'il combattait sarcastiquement dans ses propos et ses leçons, sans que la relation à l'élève aimé en souffrît. »
On n'est qu'en 1893 pourtant, avant la création par Freud de son petit cénacle, avant la controverse avec Adler, les relations ambivalentes puis la rupture avec Jung, Mais, pour paraphraser Hugo, déjà un grand Herr Doktor Freud perçait sous l'élève Sigmund.
Car on peut penser qu'il fut de ces sujets brillants que Charcot « remit à sa place ».
Ce qui l'incita à reproduire ensuite le schéma avec ses propres élèves ...
*Schibboleth n.m. Avant 1778. mot hébreu « épi », du récit biblique selon lequel les gens de Galaad reconnaissaient ceux d'Ephraïm en fuite à ce qu'ils prononçaient sibboleth. Rare : Épreuve décisive qui fait juger de la capacité d'une personne. (Petit Robert)
Personnellement je n'ai lu ce mot que dans des textes de Freud (et consécutivement de Lacan, et divers commentateurs de l'un ou l'autre ou les deux) : adhérer à son interprétation du mécanisme du rêve serait "le schibboleth de la psychanalyse."