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  • Brûler la politesse

     

    Comme « non », il est des mots qui pour être de petits mots peuvent dire beaucoup de choses.

    Lorsqu'ils sont prononcés bien sûr, mais tout autant parfois par leur omission.

    Merci est de ceux-là.

     

    Par exemple en voiture il n'est pas si fréquent qu'un conducteur en remercie un autre de lui laisser le passage, ai-je constaté. Parfois c'est parce qu'il a priorité comme on dit. « C'est mon droit, mon dû de passer devant, alors pourquoi dire merci ? »

    Dans ce cas-là, passons de même : c'est l'ordinaire.

    Mais quand on renonce à sa propre priorité par pragmatisme (ça ira plus vite, ça débloquera le carrefour) ou tout simplement par gentillesse, le merci est aussi rare. Pourquoi ?

    J'exclus que les autres automobilistes nous trouvent systématiquement une sale gueule. Je pense que ça n'a rien de personnel.

    Je crois plutôt que dire merci reste entaché chez un certain nombre de gens d'un soupçon d'allégeance, de soumission.

    En eux se raidit encore l'enfant à qui on inculquait avec plus ou moins de bienveillance la politesse, surtout envers les « grands ».

    Et ainsi dire merci n'est pas associé à la notion d'égard envers autrui. Au plaisir d'alléger et fluidifier les relations sociales, de les polir. C'est au contraire vu comme un pensum un peu humiliant.

    Une sorte de corvée infligée par celui que sa situation dans le schéma relationnel place en situation de maître.

    Il a donné (cédé le passage dans notre exemple) : on est son obligé.

     

    Voilà qui nous amène au sens initial du terme, désormais désuet.

    « Merci nf : grâce, pitié. Avoir merci de quelqu'un. Crier merci. »

    Être à la merci de quelqu'un est une situation non seulement désagréable, mais potentiellement critique, voire mortelle.

     

    À propos de cette histoire de passage à céder, est-ce d'avoir trop fréquenté Papa Freud, mais je ne peux m'empêcher d'évoquer un des faits divers les plus médiatisés de la culture mondiale.

    Un certain carrefour vers Thèbes où se rencontrent deux hommes, un vieux et un jeune. Amertume de devenir vieillard impuissant d'un côté, insolence de la jeunesse de l'autre, chacun estime que c'est à l'autre de lui céder le pas.

    La querelle tourne mal. Le jeune entreprenant tue le vieux grincheux.

    Le nom du petit jeune ? Oedipe.