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  • Le bénéfice du doute

    Le mot-clé pour apprécier la fable Le loup plaidant contre le renard par devant le singe (livre II,3) est contradiction.

    Il apparaît dans le post-scriptum bien agacé de JLF envers d'insuffisants lecteurs (dirait Montaigne) :

    Quelques personnes de bon sens (on devine les guillemets : ce sont en réalité des conformistes, ni humour ni imagination) ont cru que l'impossibilité et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe est une chose à censurer (en bons passifs agressifs qu'ils sont) ; mais je ne m'en suis servi qu'après Phèdre (bande d'incultes), et c'est en cela que consiste le bon mot, à mon avis (apprenez donc à lire entre les lignes, bande de bourrins).

    La Fontaine est contrarié.

    Car il rencontre, au lieu d'une critique éclairée, une contradiction stupide. Se peut-il qu'on ne perçoive pas le sens et le rôle du contradictoire, du paradoxal, de l'ambigu, dans cette histoire ?

    Eh oh lecteur : c'est en cela que consiste le bon mot, je te ferai dire !

     

    Bon mot fait dresser toute oreille freudienne qui se respecte. Voir Le mot d'esprit dans son rapport avec l'inconscient (cf ce blog début juillet 2014. Le temps passe …)

    De fait cette fable est étonnamment raccord avec la fameuse histoire juive du chaudron percé. Un homme a emprunté un chaudron à son voisin et le lui rend percé. Comme l'autre proteste :

    1) meuh non c'est pas percé (facile à réfuter par simple vérification)

    2) il était déjà percé (= c'est pas moi c'est un autre – toi peut être ? Plus difficile à réfuter car demande enquête et démonstration)

    3) chaudron quel chaudron je t'ai rien emprunté (réfutable ou pas ? Ce sera parole contre parole devant un éventuel juge).

     

    Dans la fable, loup et renard se contredisent devant le juge-singe à propos d'un vol que le narrateur qualifie d'emblée de prétendu (étape 3 du chaudron).

    Comment savoir qui ment ? Au fur et à mesure de l'interrogatoire ça devient de plus en plus embrouillé. Parole contre parole, chacun souffle le faux et le vrai, et vice versa. Une chatte n'y retrouverait pas ses petits.

    D'abord interdit, le singe, instruit de leur malice, donc exactement 3 fois plus malin que chacun d'eux (à malin malin et demi, donc 2 malins = 2x1,5 = 3) décide de les condamner tous deux, l'un pour fausse accusation et l'autre pour le vol en question.

    (Et du coup palpe l'amende des deux côtés. Malin on vous dit).

    Contradictoire ce jugement ? Sur qui et quoi porte-t-il en fait ? Qui est juge qui est partie ? Loup, renard, singe, narrateur, JLF, lecteur bourrin, lecteur malin ?

    La fable s'achève avec cette phrase où se diffracte le double sens :

    Le juge prétendait qu'à tort et à travers

    On ne saurait manquer condamnant un pervers.

    Quoi de plus pervers que l'écriture, que la parole ? Mais à elles on est bien obligé de laisser le bénéfice du doute, sinon pas de communication possible.