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  • (16/21) L'oeuvre de sa vie

     

    « Je me dénoue par tout ; mes adieux sont à demi pris de chacun, sauf de moi. »

    (Montaigne Essais I,20 Que philosopher c'est apprendre à mourir)

     

    À supposer qu'on ne l'ait pas éprouvé avant, dans la dépression par exemple, la vieillesse fait découvrir ce dénouage, ce déliage.

    Pas toujours nettement, mais c'est là, en sourdine. On s'investit dans quelque chose, une activité, un projet, on y prend plaisir, on y met son énergie. Mais confusément on perçoit qu'on n'y est pas autant qu'on croit. Arrêter, continuer, cela devient égal.

     

    La perception de ce dénouage peut sembler en contradiction avec ceci :

    « Je veux qu'on agisse, et qu'on allonge les offices de la vie tant qu'on peut, et que la mort me trouve plantant mes choux ... » (I,20)

    Plantant mes choux. Le gérondif le montre, il s'agit bien ici de s'inscrire dans une continuité, de (se) maintenir. Alors ?

     

    « … que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d'elle, et encore plus de mon jardin imparfait. »

    Ces derniers mots livrent la fine pointe de la pensée. Comme souvent chez Montaigne elle s'est développée en trois temps.

     

    1) Constatation qu'il y a comme du mou dans le lien avec les choses de la vie.

    2) Désir pourtant de ne pas laisser le lien trop se distendre.

    3) Solution ajuster ce lien, ou plutôt s'y ajuster. Cultiver, tout autant que les choux, la nonchalance.

     

    Le jardin restera imparfait ? Cela peut ne faire ni chaud ni froid (nonchalance vient du verbe chaloir = brûler). À condition d'admettre la condition humaine : dans la vie d'un mortel, vie et mort s'accompagnent, l'inachèvement est consubstantiel de tout.

    Au fond on n'accomplit jamais rien, on ne s'accomplit pas davantage soi-même.

    On essaie, c'est tout.

     

    C'est ce qui éclaire d'une splendide lumière ce titre, Essais, que Montaigne a choisi de donner à l'œuvre de sa vie.