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  • Et quand personne (8/17) Eplucher un peu ingénieusement

    « Je n'ai point d'autre sergent de bande (chargé de ranger les troupes pour le combat) à ranger mes pièces, que la fortune.

    À même que mes rêveries se présentent, je les entasse ; tantôt elles se présentent en foule, tantôt elles se traînent à la file.

    Je veux qu'on voie mon pas naturel et ordinaire, ainsi détraqué qu'il est. Je me laisse aller comme je me trouve. »

    (Montaigne Essais II,10 Des livres)

     

    Peut être suis-je pointilleuse lectrice, mais je perçois comme une dissonance entre la métaphore militaire du début, et le « let it be » de la fin.

    Une dissonance qui laisse entendre le questionnement de Montaigne sur le genre de son livre. Questionnement rarement explicité, ni toujours conscient, mais à mon sens toujours présent et source de tension.

    Et de fait nous ne cessons de le rencontrer dans ce parcours (cf en particulier notes 2,3,6) :

    « ces Essais, dont je ne veux pas faire une leçon, ne le sont-ils pas un peu trop ? Mais comment dire en espérant être vraiment entendu, sans chercher à expliquer plus qu'on ne voudrait ? »

     

    Questionnement élégamment désamorcé dans un passage comme celui-ci :

     

    « Pour en ranger davantage je n'en entasse que les têtes. Que j'y attache leur suite, je multiplierai plusieurs fois ce volume.

    Et combien y ai-je épandu d'histoires qui ne disent mot (n'ont l'air de rien), lesquelles qui voudra éplucher un peu ingénieusement (en s'y mettant vraiment), en produira infinis Essais (…)

    Elles portent souvent, hors de mon propos (sans que ce soit le but), la semence d'une matière plus riche et plus hardie, et sonnent à gauche (en contrepoint, métaphore musicale) un ton plus délicat, et pour moi qui n'en veux exprimer davantage, et pour ceux qui rencontreront mon air. »

    (I,40 Considération sur Cicéron)

     

    Moi qui n'en veux exprimer davantage. Paresse ? En partie sans doute : il se laisse aller paresseux quand c'est paresseux qu'il se trouve.

    Mais plus profondément, il n'a pas envie d'entrer trop avant dans les domaines qui ont tendance à impliquer le sentencieux, le pédantesque, le lourd en un mot.

    Il ne veut se reconnaître que dans son air, une certaine petite musique à lui, ce ton léger sans superficialité, subtil sans inconsistance, émouvant sans pathos, profond sans gravité, qui est son style le plus personnel.

     

    Lesquelles qui voudra éplucher un peu ingénieusement en produira infinis Essais. En gros : au lecteur qui rencontre mon air (par exemple cette Ariane) de faire le boulot à ma place.

    Et donc à elle de risquer la lourdeur et le pédantesque ...

     

    Et là je le vois sourire ironiquement dans sa moustache.