Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Sur le rêve (2) Une écume impalpable

    « Au premier rang des centres d'intérêt on trouve la question de la signification du rêve, question qui contient un sens double. La question porte d'abord sur la signification psychique de l'activité onirique et sur l'hypothèse d'une fonction biologique de celle-ci, et deuxièmement elle voudrait établir si le rêve est interprétable. »

    (Sigmund Freud Sur le rêve chap 1)

     

    Freud poursuit en condensant le long premier chapitre de la Traumdeutung, consacré à la littérature scientifique sur les problèmes du rêve.

    « On peut observer trois directions dans la façon de s'intéresser au rêve. L'une d'elles, qui a gardé en quelque sorte un écho tardif de l'antique surestimation du rêve (…) (suppose) à la base de la vie onirique, un état particulier de l'activité psychique (qui constitue) une élévation à un degré supérieur (…)

    D'autres penseurs ne vont pas si loin, mais maintiennent avec conviction que les rêves naissent essentiellement d'impulsions psychiques et mettent en scène l'expression de forces psychiques empêchées de se déployer librement pendant la journée (…) On attribue à la vie onirique une aptitude à des prestations supérieures dans certains secteurs (celui de la mémoire). »

    Une conception disons romantique du rêve. Elle remplace l'idée antique d'investissement de la psyché par le divin par la révélation, sous l'effet du rêve, d'une étincelle, sinon divine du moins supérieure, dans la psyché individuelle.

    « À cette conception s'oppose très nettement l'opinion de la majorité des auteurs médecins, qui de leur côté accordent à peine au rêve la valeur d'un phénomène psychique. Les déclencheurs du rêve, selon eux, sont exclusivement des stimuli sensoriels et somatiques, soit qui atteignent le dormeur depuis l'extérieur, soit se mettent en action par hasard dans ses organes internes (…) ou chez certains groupes de cellules spécifiques dans le cerveau, qui sinon est enfoncé dans le sommeil. »

    Ces deux conceptions, aussi divergentes qu'elles soient, ont pourtant un point commun : l'interrogation théorique : pourquoi, comment. La troisième est pragmatique, utilitariste.

    « L'opinion populaire, peu influencée par ce verdict de la science et peu soucieuse de connaître les sources du rêve, semble persister à croire que le rêve a quand même un sens, lié à la prédiction de l'avenir, et qu'on peut dégager ce sens par un quelconque procédé d'interprétation à partir du contenu souvent confus et énigmatique qui est le sien.

    Les méthodes d'interprétation employées consistent soit à remplacer le contenu onirique remémoré par un autre contenu, pièce après pièce, selon une clé fixe, soit à remplacer le tout du rêve par un autre tout auquel il se réfère à la manière d'un symbole. »

    Les termes que Freud met en italique (ce que je rends par le caractère gras) sont essentiels pour comprendre son point de vue. L'idée de clé fixe, d'interprétation passe-partout, heurte sa conception de l'originalité absolue de chaque être humain. Une conception qu'il défendra dans son débat avec Jung à propos de l'inconscient, montrant de grandes réserves sur la notion d'inconscient collectif. De même la notion de symbole, prisée aussi par Jung, lui paraît négliger l'inscription concrète dans la psyché de l'histoire individuelle du rêveur.

    Double récusation donc : celle de l'abstrait, celle de l'intemporel.

    « Mais les hommes sérieux sourient de ces efforts, ''Traüme sind Schaüme'' dit l'allemand : les rêves sont une pure et simple écume impalpable. »

    Le chapitre se termine sur une pirouette ironique, en guise de captatio benevolentiae pour inciter le lecteur à poursuivre son effort à lui : comprendre ce que le sérieux Herr Doktor Freud nous dit du rêve.