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  • Je n'ai d'autre force que d'aimer et d'admirer

    « Chaque fois que l'on (que je) cède à ses vanités, chaque fois que l'on pense et vit ''pour paraître'', on trahit. À chaque fois, c'est toujours le grand malheur de vouloir paraître qui m'a diminué en face du vrai. Il n'est pas nécessaire de se livrer aux autres, mais seulement à ceux qu'on aime. Car alors ce n'est plus se livrer pour paraître mais seulement pour donner. Il y a beaucoup plus de force dans un homme qui ne paraît que lorsqu'il le faut. »

    (Camus Carnets 15 septembre 37)

     

    On remarque ici deux choses : la vanité de paraître n'est pas condamnée au regard de l'opposition orgueil/humilité, mais de celle vérité/trahison-diminution. Diminution renvoyant à la conception de la grandeur des philosophes indexée sur le vrai (cf Ce que valent les philosophes). Et trahir dit bien que la vérité dont il s'agit est une authenticité, une fidélité à ce qu'on est, pense, croit, veut.

    Deuxième chose : la question n'est pas celle de la valeur morale de la personne, d'être quelqu'un de bien, la question est celle de l'efficacité de ses actes, de sa force d'agir.

     

    « Une certaine continuité dans le désespoir finit par engendrer la joie. Et les mêmes hommes, qui à San Francesco, vivent devant les fleurs rouges, ont dans leur cellule le crâne de mort qui nourrit leurs méditations, Florence à leur fenêtre et la mort sur la table. Pour moi, si je me sens à un tournant de ma vie, ce n'est pas à cause de ce que j'ai acquis, mais de ce que j'ai perdu.

    Je me sens des forces extrêmes et profondes. C'est grâce à elles que je dois vivre comme je l'entends. Si aujourd'hui je me trouve si loin de tout, c'est que je n'ai d'autre force que d'aimer et d'admirer. Vie au visage de larmes et de soleil, vie comme je l'aime et l'entends. Il me semble qu'à la caresser, toutes mes forces de désespoir et d'amour se conjugueront.

    Aujourd'hui n'est pas comme une halte entre oui et non. Mais il est oui et il est non. Non et révolte devant tout ce qui n'est pas les larmes et le soleil. Oui à ma vie dont je sens pour la première fois la promesse à venir. Une année brûlante et désordonnée qui se termine et l'Italie ; l'incertain de l'avenir, mais la liberté absolue à l'égard de mon passé et de moi-même. Là est ma pauvreté et ma richesse unique.

    C'est comme si je recommençais la partie ; ni plus heureux ni plus malheureux. Mais avec la conscience de mes forces, le mépris de mes vanités, et cette fièvre, lucide, qui me presse en face de mon destin. »

    C'est sur ces mots que Camus termine le premier de ses cahiers, ce 15 septembre 1937 un tournant de sa vie, une de ces étapes subjectives qui font date dans un parcours. (cf Dans nos derniers retranchements)

    Comme dans la note précédente, on retrouve l'énergie insolente de sa jeunesse dans la combinaison de sa belle acquiescentia in se ipso spinoziste combinée à sa solide Wille zur Macht nietzschéenne : la joie, d'autre force que d'aimer et d'admirer, oui à ma vie, cette fièvre lucide qui me presse …