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  • Ne rien désapprendre, ensuite patiemment apprendre

    « Trouver la démesure dans la mesure. »

    (Camus Carnets février 1938)

    Et vice versa. Non c'est pas une blague. Les deux sont comme l'endroit et l'envers d'un tissu. Où si l'on préfère une formule moins concret quotidien (moins féminine?), comme l'immanence et la transcendance.

     

    « Ce qu'il y a de sordide et de misérable dans la condition d'un homme travaillant et dans une civilisation fondée sur des hommes travaillant.

    Mais il s'agit de tenir et de ne pas lâcher prise. La réaction naturelle est toujours de se disperser hors du travail, de créer autour de soi des admirations faciles, un public, un prétexte à lâchetés et comédies (la plupart des foyers sont créés pour ça). Une autre réaction inévitable est de faire des phrases. Ça peut d'ailleurs aller ensemble, si on y ajoute le laisser-aller physique, l'inculture du corps et le relâchement de la volonté.

    Il s'agit d'abord de se taire – de supprimer le public et de savoir se juger. D'équilibrer une attentive culture du corps avec une attentive conscience de vivre. D'abandonner toute prétention et de s'attacher à un double travail de libération – à l'égard de l'argent et à l'égard de ses propres vanités et de ses lâchetés. Vivre en règle.

    Deux ans ne sont pas de trop dans une vie pour réfléchir sur un seul point. Il faut liquider tous les états antérieurs et mettre toute sa force d'abord à ne rien désapprendre, ensuite à patiemment apprendre.

    À ce prix-là, il y a une chance sur dix d'échapper à la plus sordide et la plus misérable des conditions : celle de l'homme qui travaille. » (avril 38)

    La réaction naturelle est toujours de se disperser hors du travail, de créer autour de soi des admirations faciles, un public, un prétexte à lâchetés et comédies : voilà qui apporte un contrepoint bienvenu aux citations de la dernière fois. Et qui sonne un peu comme une autocritique. Camus était exigeant envers les autres, mais plus encore envers lui-même.

    Échapper à la plus sordide et la plus misérable des conditions : celle de l'homme qui travaille remet sur la table le thème de l'otium, en donnant au mot travail son sens étymologique de tripalium, « instrument qui servait à immobiliser les chevaux, les bœufs, pour les ferrer, les soigner » (dixit Robert).

    Le problème pour Camus, bosseur comme il était, n'était certes pas de travailler en soi : mettre toute sa force d'abord à ne rien désapprendre, ensuite à patiemment apprendre, ça dit tout. Le problème est de travailler dans l'obligation, l'absence d'autonomie. Tel est en effet le possible côté sordide et misérable de la condition de travailleur. Dont beaucoup hélas n'ont pas la chance de connaître d'autres côtés.

    D'équilibrer une attentive culture du corps avec une attentive conscience de vivre : cela évoque le souci de soi prôné par Michel Foucault, qui synthétise la rigueur stoïcienne* et ses exercices avec l'attentive conscience de vivre bien épicurienne. Une synthèse que Montaigne aussi a vécue et essayée dans son propre travail de libération.

    Il s'agit d'abord de se taire. Ah ? OK OK ...

     

    *Sensible dans les phrases de Camus par cette angoisse de la lâcheté et du relâchement.