« Il faut quasi mieux jamais que si tard devenir honnête homme, et bien entendu à vivre lorsqu'on n'a plus de vie.
Moi qui m'en vais, résignerais facilement à quelqu'un qui vînt* ce que j'apprends de prudence pour le commerce des hommes. Moutarde après dîner.
Je n'ai que faire du bien duquel je ne puis rien faire. À quoi la science à qui n'a plus de tête ? C'est injure et défaveur de la Fortune de nous offrir des présents qui nous remplissent d'un juste dépit de nous avoir failli en leur saison.
Ne me guidez plus ; je ne puis plus aller. De tant de membres qu'a la suffisance**, la patience nous suffit.
Donnez la capacité d'un excellent dessus au chantre qui a les poumons pourris, et d'éloquence à l'ermite relégué aux déserts d'Arabie. Il ne faut point d'art à la chute : la fin se trouve de soi au bout de chaque besogne.
Mon monde est failli, ma forme est vidée, je suis tout du passé, et suis tenu de l'autoriser et d'y conformer mon issue. »
(Montaigne Essais III, 10 De ménager sa volonté)
*Résignerais à quelqu'un qui vînt : démissionnerais en faveur du premier venu.
**Suffisance : valeur, aptitude, vertu.