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Cerbère et le pitbull

Le chien n'est pas Cerbère, mais cela n'empêche pas qu'il y ait dans ce tableau une présence, une imprégnation de la mort. Ce chien fait partie de la série dite les « peintures noires » (oui bon des fois faut bien parler en fiches). A partir des années 1820, beaucoup de pigments noirs pour le pinceau. Car le peintre en broyait, du noir. Goya, après une maladie qui avait failli l'emporter, était un vieil homme usé et désabusé, de plus en plus muré en lui-même au fur et à mesure que sa surdité s'aggravait. Mais le pinceau, lui, dans ces années-là gagne encore en force, en maîtrise, en inventivité, en audace. Les peintures noires sont toutes fascinantes, poignantes. Le petit chien est aussi dans ce climat. Et pourtant dans son cas il y a autre chose.

 

Il attend, truffe en l'air. Sans voir son corps, on le devine agité des micro-tressaillements du chien à qui on dit : « Regarde la baballe ! ». Il sait qu'on va lancer la balle, et qu'il va s'en donner à cœur joie de courir pour la rattraper. Et puis le maître la brandira à nouveau, et lui sera à nouveau vibrant de l'attente. Voilà : en fait, le chien de Goya, pour moi il est en pleine partie de baballe. (Je ne le soutiendrai pas mordicus, mais je trouve que ça se tient, je ne lance pas tout à fait cette hypothèse en l'air)

Quant à savoir qui tient la balle ... Est-ce la question ? La mort peut être, et la douleur. Mais si menaçants que soient les partenaires, à ce jeu ce Chien-là ne perdra pas. Car plus que du vieux Goya, il est l'autoportrait de son être-artiste, de son désir de peindre, traversé de nuit et de mort, mais toujours là, pas encore avalé par le grand pan de terre de Sienne. Depuis longtemps, depuis le début, le chien rattrape toujours la balle, et ce n'est pas fini ! Dans ce tableau Goya se découvre encore aussi joueur qu'un petit chien, malgré le ciel plombé. Il n'est pas las du jeu, si vieux et souffrant qu'il soit. D'ailleurs il n'a que les dix ans du chien (mais en humain, vous suivez ?) Car quand on crée on a toujours dix ans, on n'est rien qu'un enfant qui joue.

 

A propos d'enfant qui joue, un chien peut en cacher un autre.

« J'ai donné un nom à ma douleur et je l'appelle « chien », – elle est tout aussi fidèle, aussi indiscrète et effrontée, aussi distrayante, aussi sage que n'importe quel autre chien – et je peux l'apostropher et passer sur elle mes accès de mauvaise humeur : comme d'autres le font avec leur chien, leur domestique et leur femme. » (Le Gai savoir 312)

 

Voilà qui nous donne une autre possibilité d'interprétation du tableau. Pas très différente en fait, juste une autre perspective, complémentaire.

Oui mais bon je vous entends penser d'ici. « Soi disant qu'elle arrêtait avec Nietzsche, et voilà qu'il se repointe encore ». C'est vrai, mais vous savez c'est pas si facile de décrocher. Nietzsche, c'est un peu comme un pitbull : une fois qu'il vous a mordu, pas si facile de lui faire lâcher prise. (A suivre)

 

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