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  • Rendez vous !

    Tant la solitude me comble que le moindre rendez-vous m'est crucifixion.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Cet aphorisme fait tout à coup entendre la notion de contrainte dans l'anodin rendez-vous, chargé (qu'il le veuille ou non) de connotations comminatoires. Persécution, torture, crucifixion : oui c'est parfois le mot. On vous fixe un rendez-vous, et vous voici cloué à la demande impérative de l'autre, à une obligation que vous préféreriez éviter.

    Inversement c'est vous qui clouez si c'est vous qui fixez, c'est vrai. Mais je gage que Cioran ne voyait pas grande différence de contrainte entre les deux. Et sans le vanter il n'est pas le seul.

    De manière inattendue peut être, et formulé sur un mode moins hyperbolique, ce sentiment se retrouve chapitre 3 livre III des Essais intitulé De trois commerces (facile à retenir : 3 fois 3).

    Montaigne explique qu'il a du mal à se sentir à l'aise dans les relations quotidiennes. J'ai une façon rêveuse qui me retire à moi, et d'autre part une lourde ignorance et puérile de plusieurs choses communes. (C'est moi qui souligne).

    Non qu'il s'en vante, au contraire il le déplore : cette complexion difficile me rend délicat à la pratique des hommes (il me les faut trier sur le volet) et me rend incommode (et incapable et mal à l'aise) aux actions communes.

    Un regret que l'on retrouve souvent dans les Essais. Car si Montaigne a besoin de solitude, ce n'est pas son idéal. Il a besoin de liberté, il craint l'assignation aux rendez-vous, aux commerces dépendants d'autrui, mais la communication lui est tout autant nécessaire.

    Pour contradictoires que soient ces besoins, il dit leur trouver une satisfaction ensemble dans le commerce des livres qui a pour sa part la constance et facilité de son service (...) me console en la vieillesse et en la solitude (…) me défait à toute heure des compagnies qui me fâchent (…) les livres me reçoivent toujours du même visage.

    De même si sa solitude comble Cioran c'est qu'elle est visitée de livres, et à travers eux lui donne commerce avec leurs auteurs. Préfère-t-il passer son temps avec ces interlocuteurs muets (mais si parlants) plutôt qu'avec certains (la plupart?) de ses contemporains ? 

    Comportement à rapporter à une névrose sociale, une phobie relationnelle, voire un penchant autistique ? Sans nul doute. Forme névrotique certes un peu vintage, moins conforme que guetter sur la toile pour comptabiliser les signes d'approbation.

    Mais qui a l'avantage de ne prêter le flanc à aucune crucifixion.