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  • (12/21) En repos et à part

    « Dernièrement (...) je me retirai chez moi, délibéré autant que je pourrai, ne me mêler d'autre chose que de passer en repos et à part ce peu qui me reste de vie ... » (Montaigne Essais I,8 De l'oisiveté)

     

    Ce passage de Montaigne me revient souvent ces temps-ci, depuis qu'il s'est imposé à moi lors de l'épisode confinement au printemps dernier*.

     

    Passer en repos et à part ce peu qui me reste de vie. En repos je l'entends au sens fort. Montaigne à mon avis ne parle pas ici de souffler un peu, genre faire un break. Il s'agit de cesser toute agitation.

    Non seulement au plan de l'agir réel, mais plus encore au plan psychique.

    Il vise un état semblable au calme plat d'une mer étale, quand le navire est en panne. C'est désagréable quand on a une route à faire, un port à atteindre (éventuellement une course à gagner).

    Or précisément ce n'est plus le cas. Plus assez de vie devant soi pour se lancer dans un tour du monde, ou même dans de plus modestes navigations.

    On a franchi une ligne (la dead line c'est le cas de le dire).

     

    Freud définit le principe de plaisir (de façon contre-intuitive pour notre sens commun) comme la tendance psychique à rechercher la perturbation nulle. Autrement dit à supprimer la tension qui va avec le désir.

    Le franchissement de ligne dont je parle, c'est de se sentir peu à peu délivré(e), simplement, en douceur, non du vouloir, mais de ses tensions.

     

    À part. Une vie retirée, à l'écart. Une vie où se défont les liaisons qui sont le fait de la libido (Freud encore cf fin de Malaise dans la culture).

    Ce n'est pas qu'on n'a plus de relations, c'est juste qu'elles se vivent dans une distance croissante, réelle souvent, mais plus encore psychologique.

     

    Passer en repos et à part ce peu qu'il me reste de vie n'est pas a priori un propos positif, dynamique. Montaigne le présente pourtant comme un projet : délibéré autant que je pourrai, résolu autant que possible.

    Ce qu'il vise, c'est se ménager pour la fin du parcours un chemin tranquille.

    Arrive un âge où il n'y a plus d'enjeu à repousser le calme plat du plaisir. Plus d'en-je. Plus besoin de se projeter pour exister. Arrive un âge où l'existence consiste au seul être-là.

     

    La suite de la citation (mais je trouve qu'au rebours, faisant le cheval échappé …) montre cependant que Montaigne n'est pas encore à cet âge.

    Pour moi je crois que je commence à m'en approcher.

     

    *cf Du virus (5/8) 17 mai 2020