Après son odyssée existentielle, le Qohélet est donc rendu, littéralement, au point mort. « Voilà, je déteste la vie. » (Qo 2,17)
Une phrase qui fait écho à celles de Job « Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein ? Pourquoi donne-t-il la lumière à celui qui peine et la vie aux êtres amers ? »
(Jb 3, v.11 et 20)
Leurs situations sont au départ comparables, tous deux sont des hommes de biens et de bien : riches, puissants, pieux et sages.
La différence c'est que l'auto-malédiction de Job est réaction aux malheurs qui le frappent, réponse à l'incompréhensible malédiction divine.
Le Qohèlet, lui, est désespéré sans raison objective. Il a tout pour être heureux (comme on dit), mais, en proie à une prégnante anhédonie, il ne peut que ressasser tout est vanité.
Cet écran de fumée* qui obscurcit sa vision du monde peut s'interpréter comme le symptôme de sa mélancolie.
La mélancolie est souvent associée à la bipolarité. Une bipolarité en effet décelable dans la formule initiale, dont on peut suivre le ressassement au long du livre : tout est fumée sous le soleil. L'existence se présente comme un tableau en clair-obscur, structurée de contrastes entre ombre et lumière.
Le chapitre 3 commence (v.1-8) en parcourant chaque détail du tableau, chaque déclinaison du binôme clair-obscur.
Ce texte bien connu est simple et beau. Il passe en revue les différents domaines de la condition humaine (vie physique, psychique, relations, travail) pour en dédramatiser les aléas. Comment ?
Littéralement, il les relativise, rendant visible simultanément chaque terme et son pôle complémentaire.
Ainsi le passage de l'un à l'autre est replacé dans le cadre d'une alternance normale, prévisible. Et peut être même souhaitable.
« Un temps pour enfanter et un temps pour mourir » (v.2)
« Un temps pour chercher et un temps pour perdre » (v.6)
« Un temps pour se taire et un temps pour parler » (v.7)
« Un temps de guerre et un temps de paix ». (v.8)
Cette oscillation finit par donner au texte un rythme rassurant de berceuse.
Comme une berceuse, il apporte le calme, la paix.
C'est déjà pas mal. Mais notre Qohélet voudrait bien en finir une bonne fois avec ses affres, émerger de son brouillard.
*Même symptôme en fait chez Caïn (Gen 4, 4-6).
Commentaires
Relire ces versets du "temps pour..." me donne une grande joie et c'est peut-être bien, comme vous l'expliquez, qu'ils nous bercent. Ils nous apaisent en tout cas.
(Comme à la fin d'une séance de yoga, la grande détente en balayant tous les points du corps de gauche à droite - une comparaison prosaïque à laquelle m'a fait penser "oscillation".)
Rapprochement intéressant, qui du coup me renvoie à la conception spinoziste de l'affect où se joue l'interaction du corps et de l'intellect.