« L'esprit de parti est une sorte de frénésie de l'âme qui ne tient point à la nature de son objet. C'est ne plus voir qu'une idée, lui rapporter tout, et n'apercevoir que ce qui peut s'y réunir :
il y a une sorte de fatigue à l'action de comparer, de balancer, de modifier, d'excepter, dont l'esprit de parti délivre entièrement ;
les violents exercices du corps, l'attaque impétueuse qui n'exige aucune retenue, donnent une sensation physique très vive et très enivrante ;
il en est de même au moral de cet emportement de la pensée qui, délivrée de tous ses liens, voulant seulement aller en avant, s'élance sans réflexion aux opinions les plus extrêmes. »
Germaine de Staël (De l'esprit de parti)
Cet emportement de la pensée évoque le terme de raptus qui désigne un état psychique, où, sans perte de conscience au sens strict, on perd la notion des limites de son individualité (d'où passages à l'acte suicidaires ou meurtriers).
On n'est alors plus qu'une force qui va, tel l'Hernani de Hugo. Germaine en donne comme exemple les états-limites connus en effet dans certains sports ou certains actes de guerre.
La sensation très vive et très enivrante est à rapporter à la sécrétion d'hormones qui les accompagnent.
Sensation parfois augmentée par quelques substances psychotropes destinées à soutenir l'élan en question.
Pour la guerre évoquons les drogues dispensées par le régime nazi aux soldats allemands, par l'oncle Sam aux marines au Viêt-Nam (et ailleurs depuis), ou même le coup de gnôle du Poilu avant d'escalader la tranchée. Pour le sport, on sait la part du dopage dans le dépassement des limites physiologiques (avec les dégâts induits sur la santé et l'espérance de vie des sportifs).
On peut ajouter à ces exemples l'emportement de l'extase religieuse. Éventuellement soutenue elle aussi par quelque substance. À Delphes une vapeur enveloppait la Pythie sur son trépied. Dans la nef de Compostelle, l'encensoir géant ajoute son imprégnation parfumée aux endorphines du pèlerin recru de fatigue et d'émotion.
G de Staël, en caractérisant ainsi l'esprit de parti comme une drogue, une addiction, touche un point fondamental.
Il procède d'une passivité qui fait fuir la fatigue de l'action de comparer, de balancer. Adopter l'esprit de parti n'est pas, avec ce que ça suppose de réflexion, prendre parti.
C'est se laisser prendre dans un parti, sur le mode de l'adhésion sectaire.
C'est consentir à une aliénation.