Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Staël l'impartiale (12/14) Une sorte de cercle magique

    « Les hommes d'esprit, qui, dans une autre circonstance, cherchent à se distinguer, ne se servent jamais alors que du petit nombre d'idées qui leur sont communes avec les plus bornés d'entre ceux de la même opinion :

    il y a une sorte de cercle magique tracé autour du sujet de ralliement, que tout le parti parcourt et que personne ne peut franchir (…)

    Placés à l'extrême d'une idée, comme des soldats à leur poste, jamais vous ne pourrez les décider à venir à la découverte d'un autre point de vue de la question ;

    et tenant à quelques principes comme à des chefs, à des opinions, comme à des serments, on dirait que vous leur proposez une trahison quand vous voulez les engager à examiner, à s'occuper d'une idée nouvelle, à combiner d'autres rapports. »

    Germaine de Staël (De l'esprit de parti)

     

    Le simplisme est le meilleur catalyseur de partification. Dans la publicité le slogan joue sur les mots-clés à même de déclencher le réflexe consumériste.

    Le réflexe d'appartenance au parti, de façon similaire, a pour moteur le plus petit nombre d'idées partageables avec les plus bornés d'entre ceux de la même opinion.

    Le bornage de la réflexion et de l'esprit critique construit une frontière entre les partifiés et les autres, ceux du dehors.

    Cercle magique d'appartenance en effet, l'esprit de parti jette l'anathème sur tout le «dehors-pas-nous». C'est un fonctionnement d'un profond archaïsme, clanique, quasiment totémique.

     

    Ce cercle magique évoque la polarisation* caractéristique du risque de dégénérescence (dit Rousseau) de la démocratie. Risque prévisible, ajoute JJ, car la démocratie ne peut pas être, par essence, un régime très stable.

    « Il n'y a pas de Gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le Démocratique ou populaire, parce qu'il n'y en a aucun qui tende si fortement et si continuellement à changer de forme, ni qui demande plus de courage et de vigilance pour être maintenu dans la sienne. »

    (Du Contrat social III,4 De la démocratie)

     

    L'esprit de parti peut être de ce point de vue considéré comme le revers de la médaille démocratique. Il est ainsi le virus le plus adapté pour attaquer le corps social d'une démocratie. Car il l'attaque en son ADN : le débat, dont l'objet est de confronter les opinions et les intérêts en vue d'une construction commune.

    Quand débat est infecté par le virus partifiant, dans toutes les cellules du corps social, des plus complexes (institutions, partis) à la plus simple (chaque individu), alors en effet

    « on dirait que vous leur proposez une trahison quand vous voulez les engager à examiner, à s'occuper d'une idée nouvelle, à combiner d'autres rapports. »

    Tous ensemble, quoique (et parce que) jouant chacun exclusivement son propre jeu, ces hommes qui se sont placés à l'extrême des idées réalisent la véritable trahison : celle de la démocratie.

     

    *sur cette question voir Le siècle du populisme de Pierre Rosanvallon (Seuil 2020)