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  • Staël l'impartiale (13/14) Les mots les plus nobles déshonorés

    « L'homme le plus impartial, témoin d'une révolution, finit par ne plus savoir comment retrouver le vrai, au milieu des tableaux imaginaires où chaque parti croit montrer la vérité avec évidence.

    Les géomètres rappellent à eux la certitude par des moyens assurés ; mais dans cette sphère d'idées où les sensations, les réflexions, les paroles mêmes s'aident mutuellement à former le corps des vraisemblances,

    quand les mots les plus nobles ont été déshonorés, les raisonnements les plus justes faussement enchaînés, les sentiments les plus vrais opposés les uns aux autres,

    on se croit dans ce chaos que Milton* aurait rendu mille fois plus horrible, s'il l'avait pu représenter dans le monde intellectuel, confondant aux yeux de l'homme le juste et l'injuste, le crime et la vertu. »

    Germaine de Staël (De l'esprit de parti)

    *Paradise Lost 1667

     

    Comment retrouver le vrai au milieu des tableaux imaginaires : voilà bien notre question, en temps de fake news et autres vérités alternatives.

    Germaine pointe ici les deux faces complémentaires de la perversion du débat. L'embrouille est d'abord intellectuelle et logique.

    Au plan des contenus, le vraisemblable prend le pas sur le vrai, faute de vérification. Au plan de la méthode et des procédures de réflexion, beaucoup de biais* peuvent gauchir un raisonnement.

    La logique et la vérité sont fragiles, à manier avec rigueur et circonspection, sous peine de les dégrader.

    Ainsi le technicien de police scientifique manie selon des procédures strictes l'élément relevé sur la scène de crime, pour ne pas risquer de détériorer le précieux segment d'ADN qui tracera une piste.

     

    Cette dégradation intellectuelle induit alors la perversion du débat sous sa face éthique.

    De la falsification du vrai résulte la confusion du juste et de l'injuste, du crime et de la vertu. C'est que, dit Germaine,

    les sensations, les réflexions, les paroles mêmes s'aident mutuellement à former le corps des vraisemblances.

    Remarquable formule, qui revient sur la liaison intellect-affect (point-clé de sa réflexion politique cf 1/14). Liaison qui joue pour le meilleur et le pire (comme nous en avertit Spinoza).

    Le pire, Germaine le caractérise de sa plume romantique par l'oxymore quasi hugolien les mots les plus nobles déshonorés. Pouvoir des mots : à nouveau Freud (cf 8/14). Ils sont le pivot du mécanisme d'interaction affect-intellect. Ou pour le dire mieux :

    « Notre intelligence (communication) se conduisant par la seule voie de la parole, celui qui la fausse trahit la société publique.

    C'est le seul utile moyen par lequel se communiquent nos volontés et nos pensées, c'est le truchement de notre âme : s'il nous faut (fait défaut), nous ne nous tenons plus, nous ne nous entre-connaissons plus.

    S'il nous trompe, il rompt tout notre commerce et dissout les liaisons de notre police (société).

    (Montaigne Essais II,18 Du démentir)

     

    *affectifs souvent, mais pas seulement : il résultent aussi de la paresse à penser (cf 7/14)