« L'amour de la gloire se fonde sur ce qu'il y a de plus élevé dans la nature de l'homme ;
l'ambition tient à ce qu'il y a de plus positif (de concret) dans les relations des hommes entre eux ;
la vanité s'attache à ce qui n'a de valeur réelle ni dans soi, ni dans les autres, à des avantages apparents, à des effets passagers ; elle vit du rebut des deux autres passions. »
(G de Staël. De la vanité)
Irréalité, apparence, éphémérité : toute l'inconsistance de la vanité au sens classique. Le sens moderne de fatuité s'y mêle dans ce chapitre.
Germaine commence ainsi par quelques portraits à la manière de La Bruyère.
Damon le snob qui « n'a qu'un but dans l'existence, c'est de vous parler des grands seigneurs avec lesquels il a passé sa vie. »
Licidas qui, comme dirait Brel, voudrait bien avoir l'air mais qu'a pas l'air du tout.
Cléon le mytho qui se croit le centre du monde, « et cette crédulité dans son propre mérite a bien quelques-uns des avantages de tous les cultes fondés sur une ferme croyance. »
Puis l'humour de la caricature cède la place à des considérations beaucoup moins drôles.
La vanité est un « égoïsme qui détruit la possibilité d'aimer ; il n'y a point de but plus stérile que soi-même ; l'homme n'accroît ses facultés qu'en les dévouant en dehors de lui (…)
La vanité, l'orgueil, donnent quelque chose de stationnaire à la pensée, qui ne permet pas de sortir du cercle le plus étroit. »
La vanité est ici caractérisée comme narcissisme absolu. Le vaniteux reste en arrêt, stationnaire, tel Narcisse fasciné par son reflet inscrit dans le cercle étroit de la fameuse mare.
Dans une vision du monde ainsi circonscrite à son ego, un mouvement centrifuge, un élan libidinal en dehors de soi, vers l'autre, a du mal à s'initier.
Après tout pourquoi pas, pourrait-on dire cyniquement. Sauf que du point de vue du bonheur qui intéresse Germaine, la vanité travaille surtout à ulcérer les blessures narcissiques, et renvoie à un insondable vide intérieur.
« La vanité est bien plus active sur les succès dont on doute, sur les facultés dont on ne se croit pas sûr ; l'émulation excite nos qualités véritables (car les qualités d'autrui interrogent la réalité des nôtres);
la vanité se place en avant de tout ce qui nous manque. »
Elle analyse pour finir deux cas particuliers*.
La vanité féminine, faite de coquetterie et de rivalité des femmes entre elles, est en fait à son avis le dommage collatéral sur le deuxième sexe de la vanité première du macho moyen qui « comme Pygmalion, ne se prosterne que devant sa propre image. »
Le concours de frime dans les assemblées révolutionnaires, « l'envie de surpasser l'orateur précédent, de se faire applaudir après lui. »
Mais, espère-t-elle, le fonctionnement solide d'une juste république une fois établi, « le besoin de jouer un rôle n'existera peut être plus en France. »
Quoique ? « Cette espérance est peut être une chimère. »
Peut être, oui.
*trop circonstanciés l'un et l'autre pour que je les détaille ici, mais j'y renvoie la lectrice-teur.
Commentaires
Jouer un rôle : dans la sphère publique et dans les médias, aujourd'hui.
Quant à l'égocentrisme, où le situer ?
Vaste question en effet que celle de l'égocentrisme. Un "égotisme" comme dirait Stendhal, ou le "souci de soi" que proposait Foucault, ne sont pas nécessairement négatifs, au contraire.
Le critère donné ici par Germaine me paraît éclairant : que cette attitude ne détruise pas la possibilité d'aimer, c'est à dire en pratique de "dévouer ses facultés hors de soi", et pas seulement d'agir en quelque sorte en boucle, de soi à soi.