Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Au moins sans mentir

    « J'aiguise mon courage vers la patience, je l'affaiblis vers le désir. Autant ai-je à souhaiter qu'un autre, et laisse à mes souhaits autant de liberté et d'indiscrétion; mais pourtant ne m'est-il jamais advenu de souhaiter ni empire ni Royauté, ni l'éminence de ces hautes fortunes et commanderesses. Je ne vise pas de ce côté-là, je m'aime trop.

    Quand je pense à croître, c'est bassement, d'une accroissance contrainte et couarde, proprement pour moi, en résolution, en prudence, en santé, en beauté, et en richesse encore.

    Mais ce crédit, cette autorité si puissante foule mon imagination(1). Et, tout à l'opposite de l'autre(2), m'aimerais à l'aventure mieux deuxième ou troisième à Périgueux que premier à Paris ; au moins, sans mentir, mieux troisième à Paris, que premier en charge.

    Je ne veux ni débattre avec un huissier de porte, misérable inconnu, ni faire fendre en adoration les presses où je passe. Je suis duit à un étage moyen(3), comme par mon sort, aussi par mon goût(4). »

    (Montaigne Essais livre III chapitre 7 De l'incommodité de la grandeur)

     

    (1)Jolie métaphore, cette foulure d'imagination. Rostand (réminiscence ou citation?) en utilise une fort proche, pour une réplique de Roxane à Christian dans la célèbre scène du balcon de Cyrano de Bergerac : Vous avez la goutte à l'imaginative.

    (2)Il s'agit de César (il faut remplacer Paris par Rome, of course).

    (3)Duit : du verbe latin ducere, qui signifie conduire, entraîner. On pourrait traduire : je penche pour l'étage du milieu.

    (4)Comme/aussi : du latin tam/quam. Ce procédé du calque d'expressions latines est fréquent dans l'écriture de Montaigne. C'est à la fois un réflexe, puisque le latin a été, dit-il, ma langue mienne maternelle, mais aussi, à mon avis, une petite coquetterie de style.

     

    On n'a aucune raison de douter de la sincérité de ces lignes. Il a prouvé en effet qu'il n'était pas du genre à (trop) faire sa cour pour s'élever. Et par ailleurs sa tranquillité d'esprit lui était très chère (cf Je m'aime trop).

    Néanmoins il est évident que ce chapitre sur l'incommodité de la grandeur n'est pas sans rapport avec la méthode Coué. La référence à la moyenne, ou, comme il dit ailleurs, la médiocrité, n'est pas toujours exempte d'un certain dépit.

    Certes il ne se serait pas abaissé pour monter, comme tant d'autres, mais si la grandeur était venue à lui d'elle-même, bon, hein …