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Excusant de paroles ta douleur

« La crainte et la pitié que le peuple a de ce mal(1) te sert de matière de gloire. (...) Il y a plaisir à ouïr dire de soi : Voilà bien de la force, voilà bien de la patience.

On te voit suer d'ahan, pâlir, rougir, trembler, vomir jusques au sang, souffrir des contractions et convulsions étranges, dégoutter parfois de grosses larmes des yeux, rendre les urines épaisses, noires et effroyables, ou les avoir arrêtées par quelque pierre épineuse et hérissée qui te point et écorche cruellement le col de la verge, entretenant cependant les assistants d'une contenance commune(2), bouffonnant à pauses(3) avec tes gens, tenant ta partie en un discours tendu(4), excusant de paroles ta douleur(5) et rabattant de ta souffrance. »

(Montaigne Essais livre III chapitre 13 De l'expérience)

 

(1)Sa maladie de la pierre.

(2)De façon habituelle.

(3)De temps en temps.

(4)Restant capable de ne pas perdre le fil d'un discours suivi.

(5)Minimisant l'expression de ta douleur (ce qui, il le dit ailleurs, en réduit aussi la sensation)

 

C'est ici la même teneur que la déclaration précédente sur la nécessaire acceptation des maux, mais sur un ton bien différent. Après l'abstraction philosophique, la métaphore poétique, c'est le corps qui se donne à voir dans toute sa crudité.

Montaigne, pour s'y autoriser, utilise le procédé d'un dialogue fictif avec « son esprit », dit-il. Tout à la fois sa raison, sa conscience, qui l'aident à s'expliquer avec le mal.

C'est aussi l'intervention d'un surmoi, moral et/ou religieux : un peu plus haut, il a dit voir dans cette maladie un châtiment, et en admettre la justice, avec l'argument C'est un mal qui te bat les membres par lesquels tu as le plus failli ; tu es homme de conscience. (Un des rares passages où il fait allusion à son goût de la séduction).

Ces phrases m'impressionnent par cette façon de faire bonne figure dans la douleur.

Une aptitude que Montaigne doit à son courage physique, à son endurance, bien sûr. Mais aussi, et peut être davantage, à sa politesse et sa sociabilité. Il sait en user comme antidotes à ce qui est le pire de la souffrance physique sans doute : le fait qu'elle vous isole du monde, vous enferme dans la seule sensation de la douleur.

 

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