« n°9 : Mes roses
Oui ! Mon bonheur – veut donner le bonheur –,
Tout bonheur veut certes donner le bonheur !
Voulez-vous cueillir mes roses ?
Il faut vous baisser et vous cacher
Entre rochers et ronces,
Et souvent vous lécher les doigts !
Car mon bonheur – aime taquiner !
Car mon bonheur – aime la malice ! –
Voulez-vous cueillir mes roses ? »
(Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes)
Nietzsche, il écrit magnifiquement, mais il a une sorte de tic qui consiste à mettre des tirets par ci par là, je me demande un peu pourquoi.
Ces tirets ne sont pas l'équivalent de parenthèses, comme c'est en général le cas (moi je préfère les parenthèses) (vous aviez remarqué je parie) (et même ça m'amuse de les accumuler) (comme une cascade de parce que) (ou de quoique).
Ces tirets ne sont pas non plus ou rarement, la marque d'un dialogue (ou d'esquisse de dialogue).
En fait ils m'évoquent le mot-césure (kireji) d'usage dans les haïkus. Suspension, pause, il est là pour donner le temps de s'imprégner d'un affect, de contempler une image.
Il est difficile à rendre en français. On tente en général les interjections, onomatopées, ponctuations (points d'exclamation, de suspension, et tirets, donc).
Exemples (ils sont de moi) (soyez indulgents, lecteurs)
Chant du rossignol
Dans la nuit comme une eau claire –
Boire à la fontaine
Dos rond des collines
Vieille échine de la terre –
Et le temps berger
Le « oui ! » initial de ce n°9 (on dirait qu'on parle d'un parfum) (avec les roses c'est logique en fait) est du même ordre, c'est une autre forme de kireji créant d'emblée un climat vie en rose.
… Et donc non dépourvue d'épines, entre rochers et ronces.