« n°312 : Mon chien.
J'ai donné un nom à ma douleur et je l'appelle ''chien'', – elle est tout aussi fidèle, aussi indiscrète et effrontée, aussi distrayante, aussi sage que n'importe quel autre chien – et je peux l'apostropher et passer sur elle mes accès de mauvaise humeur : comme d'autres le font avec leur chien, leur domestique et leur femme. »*
« n°313 : Pas de tableau de martyre.
Je veux faire comme Raphaël et ne plus peindre de tableau de martyre. Il y a assez de choses sublimes pour que l'on n'ait pas à chercher la sublimité là où elle vit en compagnie de la cruauté comme en compagnie d'une sœur ; et mon ambition, en outre, ne trouverait pas à se satisfaire si je voulais me transformer en tortionnaire sublime. »
« n°315 : De la dernière heure.
Les tempêtes sont mon danger : aurai-je ma tempête, dont je mourrai, comme Olivier Cromwell mourut de sa tempête ? Ou m'éteindrai-je comme une chandelle que le vent n'a pas encore soufflée, mais qui s'est fatiguée et rassasiée d'elle-même, – une lumière qui s'est consumée jusqu'à son terme ? Ou enfin : me soufflerai-je moi-même pour ne pas me consumer jusqu'au bout ? – »
« n°318 : Sagesse dans la douleur.
Dans la douleur, il y a autant de sagesse que dans le plaisir : elle fait partie, comme celui-ci, des forces de conservation de l'espèce de premier ordre. Si ce n'était pas le cas, elle aurait péri depuis longtemps : qu'elle fasse mal ne constitue pas un argument contre elle, c'est son essence.
J'entends dans la douleur le commandement lancé par le capitaine du navire : ''Amenez les voiles !'' L'intrépide navigateur ''homme'' doit être exercé à disposer les voiles de mille manières, sans quoi son sort ne serait que trop vite réglé, et l'océan ne serait que trop prompt à l'engloutir.
Nous devons aussi savoir vivre avec une énergie restreinte : dès que la douleur lance son signal d'alarme, il est temps de la restreindre, – quelque grand danger, une tempête s'annonce, et nous faisons bien de nous ''gonfler'' le moins possible. »
(Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)
Courage, persévérance à tenir dans l'être, à tenir pour la vie contre le mal dans son être.
Mais, toute sa sagesse dans la douleur est là, Nietzsche s'efforce de tenir sans raideur, sans défi, dans l'humilité, le pragmatisme.
En acceptant aussi que, voiles amenées, le voilier ralentisse, voire reste un moment en panne.
*ce chien m'évoque son jumeau en douleur de génie(s) : le tableau de Goya intitulé Le chien.