Je viens de relire Mémoires d'Hadrien. J'en ressors éblouie. Quel grand livre ! Et quelle grande dame que Marguerite Yourcenar ! (je sais c'est pas un scoop, mais la constatation m'en atteint à nouveau aujourd'hui, comme un coup de poing, un coup au coeur plutôt).
Mon édition est complétée de ses Carnets de notes de 'Mémoires d'Hadrien'. Entrer ainsi dans le processus de création, son déclenchement, ses moments de fulgurances, de doute, de lassitude, et surtout la continuité patiente, durant trente ans, du travail d'imprégnation, travail à la fois actif et passif, c'est passionnant, émouvant.
Je me suis fait une réflexion (banale peut être pour beaucoup mais je ne m'y étais jamais arrêtée vraiment) : quand on est jeune, du temps des études, et même pas mal de temps après, en fait on ne s'étonne pas plus que ça devant les chefs d'œuvre.
On les admire, on les aime certes. Mais on se dit (pour ne citer que des français, et sur une période brève) : ah oui Madame Bovary, le Rouge et le Noir, Germinal, Illusions perdues, Le Temps retrouvé … oui oui. Ça paraît naturel, évident, comme un paysage familier, ou la silhouette d'un bâtiment connu.
Et puis en vieillissant, surtout si l'on se mêle soi-même d'écrire, on réalise le prodige que c'est de créer un si grand livre, un de ces livres dont on se dit : il y a un avant et un après.
Prodige d'inspiration, de travail, de persévérance, d'intelligence. Les notes de Yourcenar font ressortir, outre son génie, sa probité d'écrivain. Elle dit des choses très belles, très fortes, sur sa façon de s'effacer derrière son sujet et son personnage, non pas par une distance factice, mais au contraire en se laissant investir par lui, dans une relation juste, loyale.
Je vais vous en livrer dans les jours qui viennent quelques courts extraits, en commençant par celui-ci qui me semble en condenser l'esprit.
« Quoi qu'on fasse, on reconstruit toujours le monument à sa manière. Mais c'est déjà beaucoup de n'employer que des pierres authentiques. »