« Si Érasme n'était pas un profond penseur, c'était du moins un esprit extraordinairement vaste, un homme aux idées justes et claires, un libre penseur selon la conception de Lessing et de Voltaire, un homme qui comprenait parfaitement et savait se faire comprendre, un guide au sens le plus élevé du mot. Propager la lumière et la bonne foi était pour lui une fonction vitale. Il avait la confusion en horreur ; tout mysticisme embrouillé, toute métaphysique prétentieuse lui causait une souffrance organique ; de même que Goethe, il ne haïssait rien tant que le nébuleux. »
(Stefan Zweig. Érasme chap 3 Sombre jeunesse)
Intéressante cette idée je trouve : même si l'on n'est pas capable d'une pensée de génie, rien n'empêche de penser juste. Être un grand penseur n'est pas donné à tout le monde, mais être un libre penseur, ça, c'est accessible. Pas facile oui (cf la dernière fois) mais possible.
Dans la dernière phrase Zweig note avec pertinence de quoi la pensée doit se libérer. L'à peu près, l'imprécision, bref toute façon de « s'embrouiller » avec le réel.
Un nébuleux qui se fait cache-misère d'une pensée poussive, masque de la vanité et de la prétention, et surtout paravent de la mauvaise foi.
Pour débusquer tout cela et le combattre, le penseur dispose d'une seule arme, que ses adversaires méprisent, mais dont il ne faut pas sous-estimer la puissance.
« Pionnier universel, il est le père d'un art nouveau : la littérature politique, dont la gamme s'étend du genre poétique à la satire la plus bouffonne – cet art des mots incendiaires que par la suite Voltaire, Heine et Nietzsche porteront au plus haut degré de la perfection, cet art du pamphlet, qui raille toutes les autorités tant laïques que spirituelles et qui est toujours plus redoutable aux puissants que l'offensive brutale des violents.
Grâce à Érasme, il existe en Europe une puissance nouvelle : celle de la plume. Et le fait d'avoir mis la sienne, non pas au service de la haine et du désordre, mais de l'union et de la concorde, lui vaut une gloire éternelle. »