« Du même fond d'orgueil dont on s'élève fièrement au-dessus de ses inférieurs, l'on rampe vilement devant ceux qui sont au-dessus de soi.
C'est le propre de ce vice, qui n'est fondé ni sur le mérite personnel ni sur la vertu, mais sur les richesses, les postes, le crédit, et sur de vaines sciences, de nous porter également à mépriser ceux qui ont moins de cette espèce de biens, et à estimer trop ceux qui en ont une mesure qui excède la nôtre. »
La Bruyère Les Caractères (Des biens de fortune 57)
Voilà qui méritait d'être dit : l'orgueil peut vous faire ramper. C'est même à vrai dire le principal moteur de la reptation sociale, bien davantage que la peur.
Ne pas confondre bien sûr l'orgueil tel qu'il est ici défini, et la fierté de soi.
Ils sont totalement antithétiques. Le vice d'orgueil ici épinglé se fonde sur la rivalité/comparaison, alors que la fierté de soi va de pair avec l'autonomie.
L'orgueil ça mesure, c'est quantitatif. Nombre de zéros au compte en banque, nombre des diplômes (réels ou inventés pour les besoins d'un poste désiré), accumulation de crédit dans le monde de l'amitié virtuelle, pourcentage flatteur d'un sondage, chiffres de vente, parts de marché, poids des médailles etc.
Et ça mesure pourquoi ? Pour comparer et classer.
Pour (se) prouver qu'on a (qu'on est) plus que.
En revanche mérite personnel ou vertu font par définition échapper à toute comparaison, étant les qualités qui font qu'on est soi.
La fierté de soi ne conduit cependant pas nécessairement à se reposer sur les lauriers de son jardin privatif. Elle n'interdit pas qu'on s'améliore moralement, qu'on progresse socialement, qu'on s'enrichisse pourquoi pas (si on y arrive honnêtement).
Mais elle empêche qu'à la différence s'accroche la comparaison quantifiée, qu'à celle-ci s'accroche la rivalité classificatrice, et à celle-ci l'aliénation au maître dont on espère qu'il vous fasse son sous-maître (cf note précédente).
Une sous-maîtrise qui suffira à vous mettre au-dessus de quelques autres.
Et enfin on se sentira quelqu'un.
Un espoir pour lequel on est prêt à ramper.
Sans économiser sur la vilenie.