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  • Orgueil rampant

     

    « Du même fond d'orgueil dont on s'élève fièrement au-dessus de ses inférieurs, l'on rampe vilement devant ceux qui sont au-dessus de soi.

    C'est le propre de ce vice, qui n'est fondé ni sur le mérite personnel ni sur la vertu, mais sur les richesses, les postes, le crédit, et sur de vaines sciences, de nous porter également à mépriser ceux qui ont moins de cette espèce de biens, et à estimer trop ceux qui en ont une mesure qui excède la nôtre. »

    La Bruyère Les Caractères (Des biens de fortune 57)

    Voilà qui méritait d'être dit : l'orgueil peut vous faire ramper. C'est même à vrai dire le principal moteur de la reptation sociale, bien davantage que la peur.

    Ne pas confondre bien sûr l'orgueil tel qu'il est ici défini, et la fierté de soi.

    Ils sont totalement antithétiques. Le vice d'orgueil ici épinglé se fonde sur la rivalité/comparaison, alors que la fierté de soi va de pair avec l'autonomie.

    L'orgueil ça mesure, c'est quantitatif. Nombre de zéros au compte en banque, nombre des diplômes (réels ou inventés pour les besoins d'un poste désiré), accumulation de crédit dans le monde de l'amitié virtuelle, pourcentage flatteur d'un sondage, chiffres de vente, parts de marché, poids des médailles etc.

    Et ça mesure pourquoi ? Pour comparer et classer.

    Pour (se) prouver qu'on a (qu'on est) plus que.

    En revanche mérite personnel ou vertu font par définition échapper à toute comparaison, étant les qualités qui font qu'on est soi.

    La fierté de soi ne conduit cependant pas nécessairement à se reposer sur les lauriers de son jardin privatif. Elle n'interdit pas qu'on s'améliore moralement, qu'on progresse socialement, qu'on s'enrichisse pourquoi pas (si on y arrive honnêtement).

    Mais elle empêche qu'à la différence s'accroche la comparaison quantifiée, qu'à celle-ci s'accroche la rivalité classificatrice, et à celle-ci l'aliénation au maître dont on espère qu'il vous fasse son sous-maître (cf note précédente).

    Une sous-maîtrise qui suffira à vous mettre au-dessus de quelques autres.

    Et enfin on se sentira quelqu'un.

    Un espoir pour lequel on est prêt à ramper.

    Sans économiser sur la vilenie.

     

     

  • Le chagrin ou la colère

    « On sait que les pauvres sont chagrins de ce que tout leur manque, et que personne ne les soulage ; mais s'il est vrai que les riches soient colères, c'est de ce que la moindre chose puisse leur manquer, ou que quelqu'un veuille leur résister. »

    La Bruyère Les Caractères (Des biens de fortune 48)

    OK La Bruyère a travaillé à se mettre du côté du manche, et sans avoir l'air d'y toucher. Mais il lui sera beaucoup pardonné à cause de telles phrases. Résistant à ma pente de prof, je m'abstiens de vous infliger un commentaire par le menu.

    Mais le jeu sur parallèle/dissymétrie, l'opposition des modes verbaux : pas mal non ? Et puis perso je craque sur le côté très XVII° de l'emploi du nom en adjectif.

    Contrairement à ce qu'on croit depuis Le cuirassé Potemkine ou Les raisins éponymes, la colère c'est avant tout, essentiellement, un truc de riches.

    Il faut avoir une suffisante opinion de sa valeur pour trouver anormal et quasiment amoral que tout le monde ne la reconnaisse pas.

    « S'il est vrai que je sois colère ? Non colère n'est pas le mot. Je ne fais que formuler avec force ma juste revendication.»

    L'exigence est l'ADN du riche : bien vu, Labru.

    Nos riches d'aujourd'hui sont colères devant ce qu'ils nomment égalitarisme. Mot en isme = idéal pour débiner un truc. En l'occurrence débiner la valeur d'égalité, au fondement de l'humanisme.

    Comprenons-le, ce pauvre riche : l'égalité relativise nécessairement sa valeur et sa prétention. Or le riche raisonne en potentat totalitaire. Un totalitarisme qui exclut par définition accommodement et relativité.

    Ce que le riche prend, il le prend tout. Il veut le beurre et l'argent du beurre. La richesse et la considération, être un salaud et être respecté, etc.

    Un totalitarisme qui connaît pourtant peu de résistants.

    Car si beaucoup de pauvres en veulent aux riches, rares sont ceux qui contestent l'inégalité en soi. Dès lors qu'on est bénéficiaire d'une inégalité, même minime, on a tendance à ne plus voir la chose du même œil. C'est humain.

    Là-dessus fonctionne par exemple le clientélisme et son travail de sape de la démocratie. Principe indémodable de la servitude volontaire qui trouve sans cesse de nouveaux domaines, de nouvelles modalités.

    Pour trouver protection et quelqu'un qui vous soulage, on s'aliène à celui qui est à l'étage social du dessus, un peu plus puissant ou riche. Souscrivant par là au principe-même d'inégalité.

    (cf François Dubet La préférence pour l'inégalité Seuil 2014 : je vous conseille, c'est lisible pour un truc de sociologue, et ça fait réfléchir  )

    Mais au total la plus grande habileté des riches c'est quoi ? Nous faire croire (moyennant relais médiatiques et politiques) que nous partageons avec eux une même colère.

    Ils profitent ainsi de notre aliénation pour dériver notre colère à leur profit.