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  • Autrement dit

    Par réalité et par perfection j'entends la même chose.

     

    - Entre nous Ariane, je comprends pas la fixation que tu fais sur cette phrase.

    - Fixation ?

    - Ach ja, Blanche ist richtig, Sie ziten diese Phrase sehr souvent, Ariane. Ich sprecherais kasimentig de Radotage …

    - N'importe quoi. Et puis chacun son tour, Sigmund, le vôtre sera la prochaine fois. D'ici là contentez-vous d'écouter, danke schön. Et toi Blanche, fixation je veux bien, mais toi dans le genre perfectionniste toujours à raturer, reprendre, corriger …

    - "Le perfectionnisme c'est l'imperfection", dirait ton ami Lacan (et toc).

    Mais pour en revenir à la phrase de Spinoza, je croyais que t'aimais pas le mot perfection, trop nirvanesque, religieux, platonicien, transcendant, absolu ...

    - Parfaitement : un mot immobile, fermé, incompatible avec ma claustrophobie intellectuelle. C'est pourquoi son acception spinoziste me plaît.

    Nous avons en effet montré, dans l'Appendice de la Première Partie, que la Nature n'agit pas en vue d'une fin ; car cet Étant éternel et infini que nous appelons Dieu, autrement dit la Nature, agit avec la même nécessité par laquelle il existe. (…) et c'est pour cette raison que j'ai dit plus haut que quant à moi, par réalité et par perfection, j'entends la même chose. »

    (Éthique préface partie 4) C'est clair, non ?

    - Euh … Enfin ça dépend à quoi on compare. Plus clair que Lacan c'est impossible, mais …

    N'agit pas en vue d'une fin, Deus sive Natura, agir et exister par la même nécessité : si c'est pas s'inscrire en faux contre la notion de transcendance ou d'idéal, je sais pas ce qu'il te faut, Blanche.

    - Mouais si je comprends en fait il joue sur le mot perfection genre si Lacan le fait pourquoi pas moi.

    - Un jeu si ça peut te faire plaisir. Dans réalité il inclut à la fois le résultat (le réalisé) et l'acte de réalisation, par la même nécessité. La réalité est per-fecta, on ne peut rien faire au-delà, autrement. La réalité n'a pas d'ailleurs.

    - C'est hyper motivant, ça ! Si la réalité est moche, injuste, invivable, inutile de se révolter, d'essayer de la changer ? Finalement c'est un réac, Spinoza.

    - Tout dépend comment on voit le verre, à moitié vide ou à moitié plein. S'il n'y a pas d'ailleurs à la réalité, il faut cesser d'espérer l'au-delà ou le grand soir. Là où tout serait enfin parfait dans le meilleur des mondes ou des arrière-mondes (comme dit Nietzsche).

    Alors reste une option : répondre présent (e) à la réalité. À partir de là tout devient possible.

     

    (À propos de Nietzsche, ainsi parle-t-il de Zarathoustra dans Ecce homo : Comment celui qui a la vision la plus dure, la plus terrible de la réalité n'y trouve néanmoins aucune objection contre l'existence.)

  • Rien d'impossible

    « Le Réel c'est l'impossible.

    1) Lacan aimait l'aphorisme. Et le paradoxe. Et le jeu de mots. Et dérouter ses auditeurs ou lecteurs. On ne saura jamais si c'était

    a) pour (se) prouver sa supériorité intellectuelle sur le commun des mortels, et surtout le pas trop commun, scientifiques, universitaires, intellectuels de toutes plumes

    b) juste pour agacer ceux-là, et d'autres si affinités

    c) pour adapter à sa façon la maïeutique socratique à l'acte psychanalytique

    En tous cas l'obscurité énigmatique du verbe lacanien suscite chez lecteur, auditeur, interlocuteur (et trice aussi bien sûr) des réactions éclairantes. C'est son schibboleth à lui, en quelque sorte.

    Ainsi dans le QCM ci-dessus, celui (ou celle) qui cochera le case a) signera un désir de compétition pour la place de mâle dominant (ou, et c'est en fait la même attitude, son allégeance à ce supposé dominant).

    Le sceptique cochera la case b) en souriant, le passif-agressif en râlant.

    Le gentil bienveillant cochera la case c). (Pour ma part je coche les trois cases).

    2) Remarquons : réel, et pas réalité.

    Le mot réfère à la triade Réel Imaginaire Symbolique, grain de sel lacanien sur la topique freudienne ça moi surmoi. Grain de sel pas trop mal venu à mon goût : les adjectifs substantivés, encore mieux que les pronoms, permettent d'éviter un contresens fréquent sur la notion d'inconscient.

    L'inconscient au sens freudien n'est pas une entité isolable*, mais « l'autre » mode du fonctionnement psychique, dont « l'un » est le mode conscient. Ce qui implique qu'ils sont toujours ensemble, même si l'inconscient est par définition … non perçu.

    *Freud prend beaucoup de précautions (entre autres dans l'article le Moi et le Ça) pour expliquer que ces topiques (grec topos = lieu) ne sont pas vraiment des lieux, n'étant localisables nulle part, ni dans le cerveau ni ailleurs.

    3) Jouant sur le mot, Lacan entend par impossible ce dont on ne peut pas dire : "peut-être, c'est une possibilité, ce n'est pas impossible". Le Réel à la mode de Lacan est la seule possibilité, le Réel n'est pas en option. »

     

    - Ah ça c'est bien toi, Blanche ! Genre non je pourrai pas, bosser y en a marre. Et puis finalement tu y vas …

    - Ouais c'est mon côté Mark Twain Ils ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait. (Toutes choses égales par ailleurs).

     

  • Accord parfait

     Réalité.

    Bon, pour ce mot, inutile que je me fatigue à recopier la définition robertique. La réalité, tout le monde connaît ... Lecteur je te vois hocher la tête. Oui : « quoique » moi aussi.

    Je corrige donc ma phrase : la réalité, tout le monde en a une idée … Ah zut, ça va pas le faire non plus. Carambolage étymologique. Latin res la chose. Grec idea l'apparence (du verbe eidon voir).

    En fait ce mot nous impose l'obligation de philosopher. Je sais pas comment je me débrouille … J'aurais dû en rester à ma première idée : roudoudou c'était plus facile à gérer.

    Enfin bon tant pis, maintenant qu'on y est ...

    « Construire l'articulation logique des propositions suivantes :

    Le Réel c'est l'impossible (J. Lacan)

    Par réalité et perfection j'entends la même chose (B. Spinoza)

    Le principe de réalité est la continuation du principe de plaisir par d'autres moyens (S.Freud).

    Vous avez 7 h. »

     

    - Tu sais moi vraiment je préfère comme ça, Ariane. Quand tu ne cherches pas à racoler le lecteur (comme pour ton marasme l'autre fois). Je suis à fond pour maintenir un niveau suffisant d'exigence intellectuelle ...

    - Oui je savais que ça te plairait, Blanche. Du coup je suppose que tu es prête à t'y coller, tu vas nous pondre une dissertation aux petits oignons (pas maussade du tout) avec thèse synthèse antithèse …

    - Moi ?

    - Qui d'autre ?

    - Euh … C'est pas pour me défiler, tu me connais, Ariane, mais avant de me lancer, je voudrais être sûre qu'on a suffisamment exploré l'option roudoudou. Peut être se révélera-t-elle paradoxalement plus propice à philosopher que …

    - Te fatigue pas, Blanche, tu as la flemme, y a pas de honte.

     

    Blanche, faut la laisser souffler quand elle a des passages à vide. De toutes façons c'est pas le lecteur qui va venir faire une réclamation sous prétexte qu'il n'a pas eu droit à sa prise de tête coutumière

    (quoi quoique ?).

     

    En fait réalité, là maintenant, me fait juste penser à une interview du pianiste Piotr Anderszewski.

    Longtemps (explique-t-il) je souffrais en concert de ne pas pouvoir jouer sur tel piano qui pour moi correspondait parfaitement au morceau, était seul à même de rendre le « bon » son. Et je me battais pour amener le piano que j'avais sous la main au son que j'avais dans ma tête.

    Et puis un jour j'ai décidé de collaborer avec la réalité. J'ai pris le piano qui était là, comme il était. Alors j'ai joué, tout simplement.

    (Le piano qui était là c'était quand même un Steinway haut de gamme, mais bon ça n'enlève rien à la sincérité de Piotr).