« Que signifie ce réveil soudain – dans cette chambre obscure – avec les bruits d'une ville tout d'un coup étrangère? Et tout m'est étranger, tout, sans un être à moi, sans un lieu où refermer cette plaie. Que fais-je ici, à quoi riment ces gestes, ces sourires ? Je ne suis pas d'ici – pas d'ailleurs non plus. Et le monde n'est plus qu'un paysage inconnu où mon cœur ne trouve plus d'appuis. Étranger, qui peut savoir ce que ce mot veut dire. »
(Camus Carnets mars 40)
« Étranger, avouer que tout m'est étranger.
Maintenant que tout est net, attendre et ne rien épargner. Travailler du moins de manière à parfaire à la fois le silence et la création. Tout le reste, tout le reste, quoi qu'il advienne, est indifférent. »
« De plus en plus, devant le monde des hommes, la seule réaction est l'individualisme. L'homme est à lui seul sa propre fin. Tout ce qu'on tente pour le bien de tous finit par l'échec. Même si l'on veut toutefois le tenter, il est convenable de le faire avec le mépris voulu. Se retirer tout entier et jouer son jeu. (Idiot.) »
Le mot d'idiot rajouté en parenthèse peut s'interpréter je trouve de deux manières.
Ou bien il signifie « ce que je viens d'écrire est idiot, ce n'est pas ce que je pense, et me désolidariser ainsi du monde et des hommes n'est pas ce que je veux. »
Ou bien, plus probablement, Camus pense ici au roman de Dostoïevski, à l'attitude du prince Mychkine, qui, ayant échoué dans sa tentative pour le bien de tous, finit par se retirer tout entier et jouer son jeu.
Les deux interprétations ne sont pas incompatibles. Camus saura d'ailleurs en faire la synthèse, s'assumant « solitaire-solidaire ».
Mais le plus clair dans ces trois citations, c'est le sentiment de dépression qui assaille Camus dans son exil parisien, loin de sa belle et lumineuse terre d'Algérie, à laquelle il est si profondément lié, d'un lien charnel qui nourrira de nombreux écrits.