Amis lecteurs aléatoires, inconnus ou pas, salut : Ariane is back in her blog.
Je réponds ordinairement à eux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche. (Essais III,9 De la vanité)
Ceux qui ont mis à profit leurs éventuelles vacances pour voyager verront peut être s'ouvrir avec cette phrase d'autres horizons encore. Des questions par exemple. "Les voyages forment la jeunesse". Et la réflexion sur les voyages, alors ? Forme-t-elle la maturité, la vieillesse ? Moi je dirais qu'elle est de l'ordre du nonâgisme.
Entendons par là un truc du style "le temps ne fait rien à l'affaire", à compléter ici d'un "et l'espace pas grand chose non plus". Comme il est dit dans ce même chap des Essais, il y a plein de gens qui voyagent sans pour autant s'ouvrir à l'autre et à son territoire inconnu. Ils cherchent à "s'y retrouver", à comparer, pour énoncer invariablement que (chez) eux c'est mieux.
Il y a le cas inverse de ceux pour qui rien n'est jamais familier, ceux qui sont tombés dans l'altérité comme Obélix dans sa potion magique. Ceux qui ont l'altérité chevillée à la perception, qui s'étonnent, angoissés ou émerveillés (le signe + ou - de l'affect non plus ne fait rien à l'affaire, sauf pour le confort psychologique bien sûr).
Ceux-là, appelez-les aliénés ou poètes, déboussolés ou trouveurs. Parfois ce sont les mêmes. Une fois, en feuilletant en librairie le bouquin d'un psychiatre, je me suis arrêtée sur la phrase d'un patient qu'il avait mise en exergue : "Je ne trouve rien, ce qui prouve que je cherche bien". Entre nous je pense que quand on avait lu ça c'était trop pas la peine d'acheter le bouquin, car que dire de plus ou de mieux ? Comme quoi les éditeurs ne sont pas si malins qu'ils le croient. (Oui j'ai décidé de me lâcher pour cette nouvelle saison de mon blog, et de me faire plaisir).
Je ne trouve rien, ce qui prouve que je cherche bien : logique de fou ? Logique tout court, à mon sens. Trouver rien, au sens de rien de prémédité, d'attendu. Donc donner à la recherche toute sa puissance, son étendue. Alors parfois devant le quelque chose le n'importe quoi qu'on rencontre, comprendre : c'était ce que je cherchais, sans savoir que je le cherchais.
Logique poétique de ceux qu'on appelait dans les pays d'oil des trouvères, et troubadours dans nos pays d'oc. Ceux qui avaient rendez-vous à leur insu, au hasard des mots et des voyages, avec du neuf, de l'inédit, de l'inouï. Ceux qui savent reconnaître ce qui vient et dire, comme Picasso "je ne cherche pas je trouve". C'est la réciproque de l'autre phrase, elles vont ensemble.
Tout ceci pour dire que nonâgisme n'est pas à confondre avec non agir. Car si Monsieur des Essais ne sait pas ce qu'il cherche, il sait une chose, qu'il cherche, même et surtout en fuyant. Il le dit ici par le sous entendu et l'implicite, dans son art baroque de l'écriture. Sous entendu et implicite pour semer le doute de l'entendement, comme le trompe l'oeil joue avec nos perceptions.
Il aime ça et il le fait si bien, de semer le doute, Monsieur des Essais. Comme on sème des graines d'intelligence, de lucidité, d'éveil. Et puis pour le plaisir du jeu. Bluffe-t-il, sourire en coin derrière sa moustache ? Laquelle des cartes est l'As de Pique, on s'était pourtant bien appliqué à ne pas le lâcher des yeux ?
Très fort au jeu du bonneteau, notre ami des Essais, au jeu baroque du trompe l'oeil. Pas sans rapport avec le trompe couillon. Et puis allez tant qu'on y est, parce que c'est bien la question la seule, pas sans rapport avec un jeu de trompe la mort. Le jeu des grands créateurs.