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Ce que ma force ne peut ...

Ce que ma force ne peut découvrir, je ne laisse pas de le sonder et essayer ; et, en retâtant et pétrissant cette nouvelle matière, la remuant et l'échaudant, j'ouvre à celui qui me suit quelque facilité pour en jouir plus à son aise, et la lui rends plus souple et plus maniable.

(Essais II,12 Apologie de Raimond Sebond)


Tiens tiens, il serait donc possible d'être rhétoricien-cuisinier …

Car on a bel et bien ici une métaphore culinaire, Dieu me gourmande ! (comme dirait le grand Desproges). Pétrissage, touillage, cuisson. Y en a qui revendiquent l'alchimie du verbe. Mais la cuisine aussi est une alchimie, dans un style moins démiurgique et plus humain.


Montaigne la pratique, cette cuisine verbale et intellectuelle, sans renâcler devant la difficulté. S'il ne comprend pas, il ne lâche pas l'affaire pour autant, il met la main à la pâte quand même. Car il s'agit de rendre comestible la matière à penser, toutes les questions que la lecture de ses auteurs chouchous lui met sous la main. Il n'a pas trouvé la réponse, la forme que la matière pourra prendre ? Peu importe, il travaille au moins la boule de pâte que l'autre pourra travailler à son tour pour finir par s'en nourrir.


Conviés que nous sommes au banquet des Essais, nous pouvons y déguster beaucoup de plats achevés et dressés dans les règles de l'art, des chefs d'oeuvre absolus de délectation pour la sensibilité et l'intelligence, ces chapitres, ces phrases de pur génie qu'on a tous plus ou moins en tête et au coeur. Genre sur La Boétie, sur l'amour, sur la tolérance, sur l'art de vivre et de goûter le temps. Mais il y a aussi par ci par là sur la table ou à côté, des marmites qui mijotent avec on sait pas trop quoi dedans, et aussi des boules de pâte non identifiée, des crèmes en train de prendre ou pas, des fruits en train de compoter …


Je lis aussi dans ces phrases cette chose qui caractérise les gens vraiment utiles au monde. Quel que soit leur domaine, ils arrivent à échapper à la fixation en miroir sur les autres, fantasmés en concurrents, en rivaux, en obstacles ou modèles. Et ils sont au contraire tout à leur acte. Ici la plongée dans la « matière » constituée par ses lectures. Une matière qu'il partage avec qui veut venir s'y plonger aussi.


 

Vous savez quoi ? Je crois qu'aujourd'hui si Monsieur des Essais était dans les médias il se foutrait du buzz et de la course au scoop, qui fait jouer avec les pires démons. S'il était dans la politique, il chercherait à agir et à parler sans calcul, il ne privilégierait pas les combinazione partidaires. Il assumerait le risque de faire ce qu'il pense bon, quoi qu'il en coûte. Il ne penserait pas « eux le peuple », mais « nous la société ». Il trouverait aberrant le cumul des mandats, les privilèges de toute sorte, dont certains très opaques, qui font des arguments tout trouvés aux populistes qui arrivent à faire croire qu'ils sont différents.

Alors qu'ils ne veulent qu'une chose : être membre du club, eux aussi, et profiter des privilèges, eux aussi.  

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