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"Lors gelèrent les paroles"

 

Au chapitre 56 du Quart-Livre de Rabelais, Pantagruel et ses compagnons sont en galère sur un bateau. Je ne sais plus pourquoi ni où ils sont censés aller, disons qu'ils errarent parce qu'humanum est. « Au confin de la mer glaciale » où ils sont rendus, ils entendent tout à coup « paroles et cris des hommes et femmes, chaplis des masses, heurts des harnais, hennissements des chevaux et tout autre effroi de combat ». Angoisse. Ne seraient-ils pas attaqués par des pirates ?

Le pilote du navire les rassure alors : il s'agit des bruits et paroles provenant d'une « grosse et félonne bataille », paroles congelées, quoique dans le feu de l'action, sous l'effet de la rigueur du climat. Et « à cette heure, advenante la sérénité et la tempérie du bon temps, elles fondent et sont ouies ».

Pantagruel ne se contente pas d'être rassuré. « En pourrions-nous voir quelqu'une ? Me souvient avoir lu qu'en l'orée de la montagne sur laquelle Moïse reçut la loi des Juifs, le peuple voyait les voix sensiblement ».

 

Arrêtons-nous un peu ici avant de poursuivre la lecture. Chers lecteurs, vous avez compris j'imagine le rapport avec ma note précédente, ou plus exactement votre inconscient l'a plus ou moins perçu, non ? Non ?

Alors voici comment je lis ce passage dans le contexte freudien qui nous occupe, enfin qui m'occupe moi. (Mais bien sûr il y a mille autres lectures à faire de cet extraordinaire passage).

1° La grosse et félonne bataille au confin de la mer glaciale = un moment de telle exacerbation du conflit névrotique que le psychisme s'en trouve débordé. C'est ce qu'on appelle un traumatisme. Il a pour effet de congeler le souvenir des affects, images, paroles : ils ne peuvent donc pas s'insérer avec fluidité dans le cours de l'histoire du sujet. Ils restent là sous forme de blocs erratiques de sympômes affleurants, menaçants, incompréhensibles.

 

2° Le rapprochement qui vient à Pantagruel avec le moment de réception du Décalogue ? En bas de la montagne où Moïse reçoit les paroles, le peuple ne les perçoit que sous forme sensible, l'image d'éclairs, le son du tonnerre. Il les perçoit en symptômes de la Présence en train de délivrer son message. Il attend que Moïse, « sujet supposé savoir » dirait Lacan, vienne les donner à lire et à interpréter. Pantagruel, en demandant à « voir » (c'est à dire à voir de près, à observer) les mots qui sont encore gelés, place ainsi toute la petite troupe dans la situation d'une analyse.

 

 

Ensuite il y a, en analyse comme en religion, deux options : l'option cléricale où le sujet supposé savoir (c'est à dire juste son support) s'identifie au savoir (conçu comme pouvoir) et balance sauvagement « son » interprétation et/ou ses injonctions. Mais il y a aussi l'option de n'être que le moyen, l'outil, de l'interprétation que le sujet se donnera à soi-même.

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