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"Un court circuit"

L'autre économie psychique réalisée grâce au Witz est une économie d'effort intellectuel. Et c'est essentiellement celle-ci que réalise le mot d'esprit « non tendancieux », c'est à dire qui ne satisfait ni hostilité ni obscénité. Il fait entendre intuitivement, par le moyen d'une simple allusion, une relation entre deux éléments, deux domaines, qu'il faudrait sans cela démontrer par un raisonnement parfois long et complexe. C'est comme un court-circuit, dit Freud.

« Ce « court-circuit » est d'autant plus grand que les deux domaines de représentation mis en relation grâce au même mot sont étrangers l'un à l'autre, et que, donc, l'économie réalisée sur le cheminement de pensée grâce au moyen technique du mot d'esprit est importante. »

 

Il donne en exemple le célèbre mot italien « traduttore-traditore » (traducteur-traître). Il explique que c'est vraiment un « bon » mot d'esprit. Certes il ne provoque pas le gros rire gras, comme le ferait une vacherie, une obscénité. Mais il apporte son comptant d'hilaritas grâce à un plaisir plus fondamental.

« Nous remarquons chez l'enfant, qui, on le sait, est encore habitué à traiter les mots comme des choses, l'inclination à chercher derrière les sonorités de mots identiques ou similaires une signification identique, inclination qui est source de nombreuses erreurs dont rient les adultes. »

 

Et Freud d'émettre l'hypothèse que les jeux de mots qui nous font le plus de bien sont ceux où le raisonnement de l'adulte (lié par l'obligation sociale de signification du langage), peut légitimer la croyance enfantine que les mots sont des choses et, comme les choses, « parlent d'eux-mêmes ». Autrement dit ceux qui nous permettent de jouer sur les deux tableaux, d'être à la fois adulte et enfant : court-circuit dans le temps. Mais surtout court-circuit dans le mode de pensée, lorsque la contrainte de rationalité et la liberté de créativité cessent de s'exclure. Là se produit un certain bonheur d'unification, d'attente comblée. Freud le nomme tout simplement « plaisir de reconnaître ». Et de nouveau replace le Witz dans un contexte esthétique plus global.

« Que la rime, l'allitération, le refrain ainsi que d'autres formes littéraires de répétition de sonorités verbales similaires exploitent la même source de plaisir, à savoir le fait de retrouver du connu, voilà qui est universellement reconnu. »

 

 

Traduttore-traditore remplit toutes ces conditions. C'est du jeu de lego ou de carambolage entre syllabes, ça rime : plaisir d'enfant. Mais « le traducteur n'est pas seulement un nom similaire à celui de traître, il est aussi une sorte de traître, c'est pour ainsi dire à juste titre qu'il porte son nom », se dit l'adulte qui a compris ce que parler veut dire : substituer au silence parfait du monde des mots toujours imparfaits, toujours insuffisants, toujours discutables. Des traîtres-mots.

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