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Phrases (3) Sérieux

«Nous ne voulons pas le pouvoir, nous voulons pouvoir.»

 

Une autre phrase à opposer au diabolique maître du monde dont parle Zarathoustra. Je l'ai trouvée dans Hémisphère gauche (Razmig KeucheyanEd Zones/La Découverte 2010/2013). Livre de philosophie politique idéal à lire sur la plage, le style 300 pages au bas mot, police 10, alinéas rationnés. L'auteur y proposeune cartographie des nouvelles pensées critiques (en clair néo-marxistes), des analyses utiles pour penser les stratégies aptes à limiter les dégâts sociaux, écologiques, intellectuels de 40 ans de règne quasi universel d'un capitalisme radical. Allez-y voir, ça vaut la peine et le mal de tête. Certes votre goût du divertissement ne sera pas totalement satisfait, mais vous aurez la sensation de devenir plus intelligents, de vivre une augmentation de puissance bien spinoziste. Passant de la passivité à l'agir, sur la plage vous n'hésiterez pas à lâcher le livre pour aller nager dans l'eau, même froide ou pleine de méduses.

Keucheyan attribue cette phrase au sous-commandant Marcos. Vous voyez qui c'est ? Créateur de ladite Armée Zapatiste de Libération Nationale Mexicaine. Illuminé ? Gourou ? Maître es canulars ? Folklo en tous cas, mais Keucheyan qui a l'air bien informé dit que sous le folklore y a un mec sérieux, un intellectuel philosophe (gage de sérieux ? that is the question) qui s'exprime « dans un style sud américain ironique ». Pour lui transformer la société par prise de pouvoir sur un modèle « léniniste », prise d'un pouvoir conçu comme total sinon totalitaire, est une erreur, car cela produit des régimes plus détestables que ceux combattus. Il faut donc renoncer à prendre le pouvoir, et juste tenter des transformations à partir des interstices de liberté que le capitalisme produit inévitablement. Par exemple dans le domaine médiatique, où il a débarqué avec ses mystères et sa cagoule (sauf que qui le connaît à part quelques gauchos convaincus ? Mais il est vrai que la provocation buzze mieux quand elle est raciste, antisémite, simpliste et productrice de violence).

A mon sens l'argument décisif ne serait pas que la prise de pouvoir a toutes les chances de mal finir (au point où on en est ...), mais plutôt que le pouvoir est si éclaté, multiforme, qu'on ne sait par quel bout le prendre. Il n'y a plus (y a-t-il jamais eu) le pouvoir, mais du pouvoir disséminé un peu partout. Certes les systèmes fournisseurs de capitaux (genre banques et fonds de pension) et les entreprises transnationales, qui sont les deux mamelles du marché mondialisé, occupent une bonne surface de pouvoir. Mais ce n'est pas un pouvoir lisse et cohérent, il est traversé de forces contradictoires répondant à mille intérêts divergents à tous niveaux. L'incompatibilité d'intérêts entre acheteur et vendeur est en effet, Dieu me pluvalorise, la base logique du MOC (Marché Option Capitaliste) où chacun espère se capitaliser oui, mais pas n'importe comment, encore faut-il que ce soit aux dépens de l'autre.

Bref vouloir vraiment agir et pouvoir, c'est laisser tomber cette version du pouvoir, et en chercher une autre.

- Comment ? Où ? Avec qui ?

- Que des bonnes questions.

 

 

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