« Civilisation : otium et negotium ».
Latin pour débutants, petit livre aussi peu hâbleur que son titre, ne laisse pas de proposer d'enchanteresses découvertes en littérature et civilisation latines. Aucune ironie enchanteresses j'ai bien dit, même pour qui n'a pas eu la chance de parler le latin comme langue sienne maternelle.
Montaigne aimait chez Jules (César) le style soldatesque qui va droit au but, et pour les mêmes raisons j'eus du temps de mes latineries scolaires un gros faible pour ses gauloisitudes, car le soldatesque aux phrases nettes m'assurait une version sans trop de prise de tête, évitant ainsi à ma copie une annotation mortifiante, Des faux sens, Attention aux contresens, et jusqu'au rédhibitoire Trop de contresens.
Mais revenons à otium et negotium. En Latinie, les personnes distinguées n'avaient pas le souci de gagner leur vie, celle-ci étant assurée par une fortune personnelle qu'ils gardaient pour eux. C'étaient en général des héritiers de grandes familles appelées gentes. (Ex le général Jules était de la gens julia). D'autres fois ils avaient accédé à la fortune en question autrement qu'en naissant dans la gens ad hoc, par des moyens clairement immoraux mais pour le dire dans la langue de l'époque dives-divus. Ne cherchez pas dans les pages roses je viens de l'inventer, ça se traduit approximativement par rich is beautiful. D'autres n'avaient pas cette chance, le vulgum pecus, troupeau des gens qui n'appartenaient à aucune gens digne de ce nom, le peuple de Latinie d'en bas. A ne pas confondre avec le bas-latin ou le Palatin qui est un peu plus haut.
Les premiers pouvaient passer leur temps dans l'otium. Il ne s'agissait pas d'inaction mais d'activités librement choisies et plutôt gratifiantes, art, philo, science, politique. Juste ils n'étaient pas censés en retirer du fric (ou alors discrètement par des montages financiers de sociétés écrans domiciliées dans des paradis fiscaux). En effet le couple otium-negotium n'est pas construit sur la distinction faire ou ne pas faire, mais sur vendre ou ne pas vendre. Vendre, que ce soit des choses ou de la force de travail, c'est ce que devaient faire les autres, les Latins d'en bas. Ils étaient donc obligés de renoncer à l'otium (ce que dit le mot neg-otium) pour gagner leur vie. Sinon eux aussi ils auraient fait sénateur, ou consul ou ami de Mécène, tiens ! Y a pas écrit stultus.
En tous cas les uns comme les autres s'étonneraient de la permutation des signes positif et négatif entre ces deux termes et leurs descendants. Le négoce est la valeur suprême du Marché, sur laquelle s'indexent toutes les autres. Sais-tu vendre ou te vendre ? Bravo tu es un entrepreneur créateur de richesse. En revanche qui dit oisiveté sous-entend L'oisiveté est la mère de tous les vices. Phrase frappée au coin du bon sens, la preuve l'oisiveté c'est un truc de chômeur, ou d'intermittent du spectacle, ou de tout autre salaud d'assisté qui se gave indûment des richesses que le bon négoceur n'a pas pu sauver du fisc.