« Qu'avons-nous en commun avec le bouton de rose qui tremble parce qu'une goutte de rosée lui pèse sur le corps ? »
(Nietzsche Ainsi parlait Z, discours Lire et écrire)
Une évidence : Nietzsche n'est pas un philosophe à l'eau de rose. Il est des auteurs vers qui on va sans crainte, sans trouble. On pressent qu'ils ne vous brutaliseront pas. Cela ne réduit en rien leur pouvoir, leur action, mais c'est un soft power. Flânerie avec Montaigne, parcours fléché avec Spinoza : des questions, des déplacements, tout le temps, mais du malaise ou de l'inquiétude, non pas. Avec Nietzsche c'est autre chose. Quelqu'un m'a dit récemment : Nietzsche souvent ça fait mal, c'est aigu. Aigu, voilà le mot exact. Plus encore que tranchant, Nietzsche est aigu, il y a en lui une pointe, un aiguillon. Une épine qui se glisse sous la peau et peut agacer longtemps.
Donc au moins une chose en commun entre Nietzsche et la rose : les épines.
Mais est-ce la seule ? Devant cette phrase on peut se le demander. Exquise, suave, toute en souffle suspendu, phrase à lire avec la délicatesse requise à dénouer la faveur, déplier le papier du cadeau qu'on vous donne en disant : attention c'est fragile. (Même si en allemand elle ne va pas jusqu'à octroyer la même prime d'assonance que rose/rosée).
Prenons d'abord les choses au ras des pâquerettes : une phrase pareille est signe qu'on aime contempler la nature. De fait Nietzsche a beaucoup baladé dans les forêts de montagne. Entre nous il a dû y voir plus de rhododendrons que de roses, mais bon la licence poétique c'est pas fait pour les chiens.
Mais il faut aussi, surtout, avoir tremblé soi-même sous les gouttes de rosée, pour que l'image de la fleur réveille en soi, telle la réplique d'un séisme, le souvenir de larmes qu'on a vues couler, qu'on a fait couler, qu'on a versées soi-même, et dont l'amertume encore vous imprègne.
C'est pourquoi ce refus d'être la rose fragile aux pétales vite froissés sonne un peu méthode Coué : l'âme à fleur de peau ce n'est pas pour moi, l'eau de rose m'écoeure. « La vie est lourde à porter : mais ne faites donc pas vos délicats ! Nous sommes tous, tant que nous sommes, des ânes bien jolis et qui aiment à porter des fardeaux. »
C'est peut être quand on a vu tant d'ânes médiocres et lourdauds piétiner ses roses qu'on choisit de renverser les choses, et de faire l'âne à son tour. Dans l'effort et l'espoir d'oublier la rose qui tremble en soi.
Oui mais comme dirait le Petit Prince « Est-ce que les ânes mangent les roses ? »