« Où l'on ne peut plus aimer, là il faut – passer. »
(Ainsi parlait Zarathoustra. De passer)
On peut voir dans cette phrase une renonciation, une défaite : le moteur amour cale faute de carburant. Qu'y a-t-il à aimer ? Les choses sont trop laides, les gens trop cons ou trop méchants. Alors avec la meilleure volonté de puissance du monde … On imagine Zara tout las : « il faut » (soupir) « passer ». Sortie du mal certes, que ce passons. Mais sortie par le bas.
Alors, devant le constat de l'amour impossible pour cause de méchanceté du monde, il y a la solution en apparence plus dynamique d'un sursaut en sens inverse. Là où il n'y a plus rien à aimer, s'autoriser « pour la bonne cause » à y aller dans la détestation, le dénigrement, voire la violence, la vengeance, l'élimination. Syndrome du justicier. Le mal, on va lui régler son compte. L'amour ne brûle plus, mais comme on a toujours et avant tout besoin de chaleur, c'est à la haine qu'on se chauffera.
C'est dans ce discours l'attitude suggérée à Zara par un personnage « que la foule nommait 'le singe de Zarathoustra' ». Personnage de « fou » (Narr) qu'il faut voir comme un bouffon auprès d'un roi. Celui qui ose dire au roi ce que personne n'ose lui dire, qui lui renvoie son image brute, sans le polissage des flatteries. Précisément en le « singeant ».
Le dialogue avec ce singe est un moment capital du livre, car il permet à Zarathoustra (et à Nietzsche) de se démarquer d'une image caricaturée de lui-même.
Le singe lui renvoie en effet son image killbillesque, la dureté-pureté de son désir de vérité et de liberté : « Au nom de tout ce qui est lumineux et fort et bon en toi, Zarathoustra, crache sur cette ville de marchandeurs et laisse tomber (et basta). » Et de répéter plusieurs fois avec délectation l'incitation au crachat.
Zarathoustra lui répond alors, et avec lui à tous ceux qui caricaturent parfois la pensée de Nietzsche en s'arrêtant à la révolte, au mépris devant la laideur et la petitesse. S'il n'était que cela il ne serait pas plus grand que ses cibles. Pas vraiment différent, surtout. Il serait peut être un super-man mais pas un surhumain.
En réalité cette phrase proclame une victoire achevée, parfaite. La victoire de la vérité (qu'il y a des choses ne méritant pas d'être aimées) n'est complète que si elle s'accomplit aussi contre son propre ressentiment : passons. Allégé du poids de sa colère, guéri de la nausée de sa rancoeur, on est libre de dire le seul mot qui vaille :
« Je ne veux pas faire la guerre au laid. Je ne veux pas accuser, je ne veux même pas accuser les accusateurs. Que regarder ailleurs soit mon unique négation ! En somme toute, en grand : je veux même, en toutes circonstances, n'être plus qu'un homme qui dit oui ! » (Le Gai savoir : Pour la nouvelle année).