« Car je t'aime, ô éternité ! »
(Ainsi parlait Zarathoustra. Les sept sceaux ou le chant de oui et d'amen)
Comme précisément je ne l'ai pas tout à fait devant moi, l'éternité, j'ai décidé de ne plus trop tarder à boucler ce parcours à travers Zarathoustra. (Qui lui ne la bouclera jamais, car c'est son destin d'ainsi parler ad vitam aeternam).
Et voilà pourquoi, de la même façon que je me suis interdit l'impasse sur le surhumain, je me sens obligée de dire un mot de l'autre must du bouquin : la notion dite de l'éternel retour. Au passage, vous avez remarqué « interdit, obligation » : lire Nietzsche et rester si soumise aux injonctions de son surmoi. Étonnant, non ? Surmontant donc ce surmoi, je m'autorise à expédier la question en deux coups de cuillère à pot et en deux citations.
La première se trouve dans Ecce homo. Entre nous voilà un livre qu'on ne remerciera jamais assez Nietzsche d'avoir écrit. Témoignage du cheminement de création en lui, précisions biographiques, dans une exposition au lecteur absolument naïve jusque dans l'auto-célébration. Derrière la frime provocante des titres style pourquoi j'écris de si bons livres, pourquoi je suis si avisé, il y a le refus de tricher, de s'excepter de la nouvelle philosophie-physiologie qu'il promeut (cf note 21 janvier). Le refus d'un double jeu. Il laisse aux médiocres le soin de faire à leurs lecteurs l'injure d'une modestie tartufière. Bref alors oui notre citation 1 :
«Le problème psychologique dans le type de Zarathoustra est de savoir comment celui qui dit non, fait non à un degré inouï, à tout ce à quoi jusque là on disait oui, peut être néanmoins l'antithèse d'un esprit négateur. Comment l'esprit qui porte le poids de destin le plus lourd, une tâche fatale, peut être néanmoins l'esprit le plus léger et le plus transcendant – Zarathoustra est un danseur : comment celui qui a la vision la plus dure, la plus terrible de la réalité (…) n'y trouve néanmoins aucune objection contre l'existence, pas même contre son retour éternel – mais plutôt une raison de plus d'être lui-même l'éternel oui à toutes choses, 'l'immense dire-oui-et-amen sans limite' » (C'est lui qui souligne, bien sûr).
Éclairant, non ? Le seul point qui mérite un peu plus de précision est cette histoire de destin lourd. Ce sera fait la prochaine fois grâce à la 2° citation.
Mais le plus déterminant ici est de voir à l'oeuvre une parole performative. Le monde est certes « terrible » (rugueuse réalité dit superbement Rimbaud). Mais le maudire n'est qu'une façon comme une autre de se conformer à sa méchanceté. Au contraire se prononcer pour un oui d'adhésion à la vie qui est là quoi qu'on fasse, est acte de résistance au mal. A condition que ce soit sincère, ancré dans la réalité de sa propre existence, bref incarné : être lui-même l'éternel oui sans limite.
Pour le monde on ne sait jamais ce que changera un tel oui. Pas grand chose sans doute. Mais pour qui le prononce ça change tout.
Commentaires
Qui eût dit chère Ariane, que Nietzsche apporterait autant de jubilation ? Je dois dire que c'est tout de même étonnant, pour moi qui - je l'avoue - ne suis qu'en pointillé et de loin en loin ce feuilleton sur Zarathoustra (du verbe suivre, bien sûr, je précise à tout hasard ; quoique...), étonnant dis-je de tomber à chaque fois nez à nez sur des choses aussi toniques. Merci donc encore chère Ariane, de dévider ces chroniques.
Toujours aussi fervent cyber-supporter,
Laurent
Merci mon cher Laurent pour ces encouragements.
A vrai dire c'est Monsieur Nietzsche qu'il faudrait remercier pour la jubilation qu'il nous apporte. Mais d'une part il ne nous a pas laissé son adresse. Et d'autre part il n'a pas besoin, lui, d'encouragements, alors que moi, ben oui ...