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"Tout simplement comme une robe"

Ne voir aucune mégalomanie dans la citation qui termine la note précédente. Les gisements dans la mémoire sont précieux du fait de leur seule existence, malgré leur quelconquité, leur lambdadité. 

Précieux sans être extraordinaires.

Une grande humilité préside ainsi à la création proustienne. 

Il a écrit avant La recherche, en particulier la première version qu'en est Jean Santeuil. Il a affirmé son talent de critique artistique et littéraire, fait la preuve de sa virtuosité stylistique, affiné son acuité d'observateur moraliste et caricaturiste. Mais il sent bien qu'il n'a pas atteint ce qu'il veut atteindre, sans bien savoir ce que c'est. Il s'est bêtement satisfait de passer son temps, dans l'éparpillement, l'alibi de la vie mondaine, de la séduction, du besoin d'amour. Une énergie gaspillée, perdue pour la seule chose qui, il le sait, le fera vraiment devenir ce qu'il est : une création, une vraie, une inouïe.

Mais, trait de génie et d'humilité (ça va plus souvent ensemble qu'on ne croit), au lieu de se projeter et se fantasmer en grand créateur dont la Recherche serait l'épopée, il décide de se reconnaître dans le personnage de Marcel, ce dandy qui n'aura rien fait de sa vie. Alors, Marcel trouvant grâce aux yeux de Proust, Proust retrouve toute sa vie dans Marcel. Et le temps qui va avec.

 

Quant au travail même de l'écriture, un grand artiste, dit-il, « devrait préparer son livre minutieusement, avec de perpétuels regroupements de force, comme une offensive, le supporter comme une fatigue, l'accepter comme une règle, le construire comme une église, le suivre comme un régime, le vaincre comme un obstacle, le conquérir comme une amitié, le suralimenter comme un enfant (oui bon il avait une mère juive ne l'oublions pas), le créer comme un monde. » Sera-t-il ce grand artiste ? Il dit non, sincèrement mais en espérant se détromper lui-même.

 

En tous cas il connaît sa touche personnelle.

« Mais pour en revenir à moi-même, je pensais plus modestement à mon livre (…). Il se compare à Françoise, sa vieille gouvernante qui, entre autres travaux, fait de la couture « (du moins comme elle faisait autrefois : si vieille maintenant, elle n'y voyait plus goutte) ; car, épinglant ici un feuillet supplémentaire, je bâtirais mon livre, je n'ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe. »

 

Un acte féminin, concret, ouvrier. Telle est l'écriture proustienne.

N'empêche je me pose une question. S'il avait vécu en notre époque de traitement de texte, il n'aurait pas eu besoin de tous ces papiers pense-bête qui couvraient sa table de travail. Aurait-il perçu de la même façon le temps comme un mille-feuilles ? L'instant comme un bout de papier à coller sur la page sous peine qu'il s'envole ?

 

 

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